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17h00. Je viens de finir un café bien serré. Il est temps de dévorer l’heure qui me sépare de Limoges, ville où va se dérouler un match amical à ne rater sous aucun prétexte. A ma gauche, les portugais de Moonspell, venus défendre leur ambitieux 1755, et à ma droite, les anglais de Cradle of Filth, venus quant à eux en découdre en portant le maillot de leur petit dernier, le très victorien Cryptoriana. Même si le concert de ce soir porte le nom de Cryptoriana World Tour, il est difficile de considérer Moonspell comme une première partie, et il serait à vrai dire plus juste de dire que chacun va défendre son terrain, les vampires ayant un léger avantage côté timing (cela se jouera sur le rappel, qui ne sera d’avance pas accordé aux lycanthropes, petite concession à la malédiction pesant sur ceux jouant en premier, le handicap de la balle en argent dirons nous).
Histoire de respecter l’équilibre, je pars avec les deux galettes argentées à insérer dans le lecteur de ma voiture. Comme il fait encore jour, je me fais l’aller avec 1755. Dans un sens ou dans l’autre, j’aurai juste le temps d’écouter l’intégralité avant d’arriver. Je fais le trajet dans un curieux état d’esprit. Côté studio, les deux groupes me sont chers, la dernière livraison des portugais ayant cependant eu plus de mal à me convaincre que ses derniers frères et sœurs, tandis que Cryptoriana m’a d’emblée conquis, renforçant l’impact qu’avait déjà eu sur moi Hammer of the Witches. Côté prestation scénique en revanche, j’ai déjà eu l’occasion de me frotter à Moonspell, et je sais d’avance que le show sera assuré avec un professionnalisme sans faille, alliant technicité, maîtrise de la scène et respect du public. Pour les anglais, ce sera par contre une première pour moi (je les ai malencontreusement ratés dans la même salle il y a… 20 ans !), et j’éprouve de bien compréhensibles craintes tant la musique des vampires du Suffolk sera rude à retranscrire sur les planches, notamment côté chant (franchement, c’est pas humain de chanter comme ça sur scène, pendant 01h20… mais qui a dit que Dani était humain ?). Le match promet d’être intéressant.
Une fois arrivé, une foule tranquille attend devant les portes closes. Une amie m’attend, novice en la matière, curieuse d’affronter l’inconnu. Elle semble un peu effrayée par ces silhouettes lupines ressemblant déjà à des ombres tant le noir est de rigueur. Elle ne va pas être déçue ! Puis les portes s’ouvrent, comme celles d’un endroit mal famé, avalant en un silence presque religieux la foule ayant déjà grossi. Armé de mon appareil photo, direction le devant de la scène, afin de saisir au mieux le show à venir (dommage qu’il n’y ait pas d’espace pour les photographes, mais bon, John Lennon a des qualités que d’autres salles n’ont pas, notamment celle d’offrir une intimité certaine entre groupe et public, faisant de l’endroit un incontournable repère pour les petits comme les grands du metal. Et au passage, un grand merci à Bruno et Execution Management pour nous offrir de telles soirées !). Premier constat, la présence de deux sets de batterie : à gauche, celui destiné à Cradle, reconnaissable entre mille avec cette protection en plexiglas dont je n’ai toujours pas compris le sens (simple décorum ? isolation voulue par « Marthus » afin de dérouler au mieux son jeu ? peur de quelques malfaisants ?), et à droite, celui des portugais, non moins impressionnant, Miguel Gaspar n’étant pas un cancre en matière de frappe chirurgicale. On devine d’emblée que les lusitaniens vont avoir moins d’espace pour jouer, et cela va effectivement se ressentir un peu plus tard.
Puis les lumières s’éteignent, et les notes d’Em Nome do Medo retentissent, tandis que s’avance, lanterne en main, un Fernando vêtu comme s’il sortait tout droit d’un vieux film de la Hammer, rouflaquettes lui dévorant les joues, alors qu’un chapeau aux larges bords lui masque le regard. De la suie couvre son visage : nul doute, le chanteur charismatique est déjà dans les ruines de la cité flamboyante de Lisbonne, entièrement ravagée par un violent séisme en ce jour de la Toussaint 1755, les clochers de ses églises brisés sur le sol tandis que plus de 25000 morts jonchent les rues, soit un dixième de la population d’alors. Sur les orchestrations enregistrées, la voix sans faille du leader nous entraîne dans l’exploration de ce nouvel opus et de l’événement qu’il relate. Vont alors s’enchaîner les titres chantés en portugais, le groupe ayant décidé de défendre âprement son dernier effort là où de nombreux groupes jouent la facilité, parsemant leur set de quelques nouveautés alors que s’enchaînent les standards. Moonspell sait qu’il est à l’aise sur scène, qu’en un tour de passe passe il peut s’acquérir les faveurs du public, fort des cinq atouts qu’il garde dans sa manche : Fernando, Ricardo, Pedro, Aires et Miguel. Et surtout, Moonspell n’a peur de rien. Pas moins de 7 titres de 1755 vont être joués ce soir, et le moins que l’on puisse dire est que l’accueil du public y sera favorable, nombre de lèvres récitant religieusement les paroles du nouvel opus. Tous les musiciens seront au diapason, à peine gênés par l’étroitesse de l’espace qui leur a été laissé (il y aura par contre peu de va et vient, tout juste vers la fin). Aires régalera le flanc gauche de la salle du jeu de sa basse, heureusement fort audible pour tous, tandis que Ricardo, avec sa barbe de conquistador, posera les soli dont il a le secret, tout en finesse et doigté, sans jamais tomber dans l’excès. On regrettera juste la discrétion physique de Pedro, mais il faut bien avouer que le claviériste à l’immense silhouette longiligne est réellement coincé entre son instrument et la cage de Marthus. Comme à son habitude, Fernando, visiblement très relax, va s’adresser au public en un français délicieusement saupoudré d’accent portugais. Aux remerciements vont se mêler quelques mots soulignant le sujet de leur dernier album, événement qui parlera peu à ceux ne s’intéressant qu’à la musique mais qui marqua pourtant le déclin de l’empire colonial portugais (port détruit, capitale rasée), sans parler de sa consonance mystique, puisqu’en plein Siècle des Lumières, le séisme aura des allures de théodicée, autrement dit de manifestation de la toute puissance de Dieu, de parangon du Sublime, cet art qui se détache du Beau et ne prend toute sa dimension que face aux esprits sensibles et à la crainte qui les anime. Tout un programme, et il faut réellement saluer ce genre d’attitude, le metal étant trop souvent (et à tort !) limité à des clichés grotesques. Quoi ?… je fais une chronique de l’album, et plus vraiment du concert ?… Ben ouais, manquerait plus que je me gêne !… Allez, entre les grands moments issus de 1755, dotés soudain d’une dimension qu’ils n’avaient pas encore (pour moi) sur album, nous auront droit à simplement quatre perles issues de la riche et variée discographie du groupe : Opium, Alma Mater, Night Eternal et Full Moon Madness s’intégreront parfaitement au set, intelligemment placés, et cette chiche utilisation du passé montrera que Moonspell est plus que confiant en son présent, offrant à son public autre chose qu’un simple déjà vu. C’est donc avec une certaine tristesse que le groupe s’efface, sous les vivats du public et la promesse d’une « prochaine fois »… Fernando a même dit « à tout à l’heure »… mais j’attends toujours !
Le temps des réglages de rigueur, et du démontage de l’équipement lusitanien, la tension va peu à peu monter et les anglais de Cradle of Filth vont faire leur apparition, arrivant un à un sur une musique appropriée de Jerry Goldmisth, tirée du film La Malédiction, Ave Satani. Ils sont aussitôt acclamés par une salle bien remplie dont on comprend cependant qu’elle n’est pas venue que pour les vampires du Suffolk. Il va donc falloir faire le show. Une silhouette encapuchonnée et bardée de pointes en acier arrive en dernier, tête penchée, se découvrant à point nommé lorsque retentissent les notes fracassantes du premier titre. Tonitruante mise en bouche, si j’ose dire, avec la Chatte Dorée… enfin… Gilded Cunt ! Voix rauque, rageuse, se lançant sur un rythme rapide avant d’incliner son micro pour pousser ses célèbres et attendus hurlement stridents : nul doute, Dani est en voix. A la question que je me posais juste avant d’arriver, la réponse est ainsi vite donnée : titre après titre, le démon s’égosille mais tient la route, livrant sa prestation unique, ce chant si particulier le mettant à part dans l’univers du metal extrême. La musique est puissante, efficace, culminant sur des titres tels que Bathory Aria – véritable temps fort du show -, Dusk and Her Embrace, Nymphetamine ou encore The Death of Love, annoncé par la voix grave de Dani comme un hommage du groupe aux Français, du fait du monstre dont parle la chanson, le diabolique tueur d’enfants Gilles de Rais. Ce n’est pas du black, ce n’est pas de la pop, ce n’est pas du heavy, c’est du Cradle of Filth, enfoncez vous ça dans le crâne à coup de marteau une bonne fois pour toutes !
Mais au fur et à mesure que s’égrènent les douceurs, on se rend compte d’une chose évidente : à l’inverse des portugais, les vampires vont jouer la prudence et donner la part belle aux titres anciens, devenus certes des standards incontournables. Et tout cela se fait au détriment du petit dernier, dont seulement deux titres seront ce soir interprétés : Heartbreak and Seance et You Will Know the Lion by His Claw. Dommage, d’autant que le nouvel album a visiblement conquis public et critiques, et que la prise de risques était ainsi minime. J’aurais personnellement bien pris une rasade de The Seductive of Decay, Wester Verpertine et Death and the Maiden. Se pose alors la question : pourquoi ces nouveaux titres sont-ils si réussis ? Parce que les guitares sont de retour et offrent des prestations dépassant le simple cadre du riff et de la rythmique ! Des coups d’épée heavy dans un combat black sympho, voilà qui a de la classe… mais c’est ici que se pose le gros problème de la soirée. Un indice avait peut-être été laissé sur la page événement du groupe, indiquant, Cradle of Filth with Dani Filth, ce qui avait levé beaucoup d’interrogations dans les réseaux sociaux. C’est donc ainsi qu’afin de livrer une prestation irréprochable, Dani a visiblement décidé de mettre le groupe en retrait. Il est vrai qu’il est difficile d’être audible dans ce genre de prestations quand résonne le fracas des instruments, mais si celui-ci se dilue et se résume à l’essentiel, notamment les rythmiques (la batterie est bien présente, heureusement), cela se fera au détriment de la complexité de l’oeuvre, et notamment du jeu des guitares. Nul solo ne vient voler la vedette à Dani, nulle rythmique ne vient effacer la stridence de ses aigus. C’est bien simple, Richard (la guitare aux cheveux longs) s’amuse tout au long du set à jouer les fantômes égarés, le zombie posant un doigt ici un autre là afin de tirer des notes improbables de sa guitare… et l’on se demande souvent si effectivement des notes en sortent ! Le duo qu’il forme avec Ashok devrait être percutant, tranchant, il est juste scénique (regardez les photos plus bas pour voir de quoi je parle), jouant la pose plus que la dextérité. Ils ne sont point à blâmer je pense, c’est juste – à moins que je ne me trompe -, un choix de Dani afin de pouvoir dominer et être le centre des attentions durant toute la durée du set. A sa décharge, j’ai vu trop de groupes extrêmes souffrir d’une prestation vocale noyée dans la violence des instruments, et j’avoue que c’est assez pénible à voir comme à entendre. Cradle of Filth fait peut-être partie de ces groupes donnant le meilleur d’eux-même en studio et non en live, du fait d’une musique trop complexe à retranscrire et nécessitant un savant mixage. Lindsay Schoolcraft aura bien ses moments à elle – taquinée par un Dani alors très souriant -, mais je dois dire que son chant ne m’aura guère convaincu, manquant souvent de justesse. La basse, n’en parlons pas, elle souffre globalement du même problème que les guitares, le symptôme du son déjà « sourd » en plus. Il y a bien « Marthus » Skaroupka, qui parviendra à délivrer l’excellence, peut-être aidé en cela par l’enfermement dans lequel il semble s’être retiré.
Allez, ne boudons pas trop notre plaisir et profitons des morceaux qui nous sont offerts en pâture. Bathory Aria aura été l’apex, mais on termine en beauté avec les incontournables Born on a Burial Gown et Her Ghost in the Fog, et aussi avec une surprise assez inattendue : From the Cradle to Enslave ! La vache ! Cela faisait tellement longtemps que je n’avais pas écouté ce titre que je ne l’avais même pas reconnu. Bon, à défaut d’être le morceau que tout le monde attendait, ce fut cependant une drôle de surprise. Pour ma part, j’aurais préféré la reprise d’Annihilator, présente en bonus sur le dernier opus, Alison Hell, mais bon… Les lumières se rallument. Salut au public, photo de rigueur prise par le batteur, et la soirée se termine.
Handicapés par un passage en première partie – terme que je déteste employer quand je parle de Moonspell – et l’absence de rappel, les portugais ont joué la surprise en se concentrant sur le nouvel album et une prestation scénique irréprochable, malgré le peu de place qui leur était laissée sur scène. En face d’eux, les anglais ont joué la prudence et trop mis leur chanteur en avant, au détriment des guitares, assurant certes un show solide mais bien en deçà de ce que beaucoup pouvaient attendre. Pour cette rencontre amicale, incontestable victoire du Portugal. Et du coup, sur le chemin du retour… j’ai remis 1755, album qui n’attendait peut-être qu’un tel show pour délivrer toute sa saveur ! Les nappes de brouillard ont bien tenté de m’avaler, mais j’en suis finalement sorti pour vous écrire tout cela.
PS : concernant mon amie Régine, que je salue au passage (si elle peut encore lire !), on lui a diagnostiqué deux tympans percés, des dommages irréversibles au cerveau sans doute à l’origine de cette fâcheuse tendance à la violence gratuite. Elle a pris rendez-vous chez le tatoueur et se met aussi à hurler bizarrement, comme ça, sans prévenir, et tout dans les aigus ! Bienvenue dans le monde du metal ! Quant à toi, Manu, va falloir t’acheter des lunettes, j’étais tout devant, genre « tu peux pas faire plus facile à remarquer » ! La prochaine fois, on se rate pas !