[Chronique] YURI FULONE – Your Kingdom Will Fall

Herbert Al West - Réanimateur Recalé
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Contemplez cette forteresse imposant sa lourde et menaçante silhouette sur fond de ciel embrasé. Admirez l’acier rutilant de ces preux chevaliers, montés sur leurs fiers destriers, se préparant à un violent assaut, leur bannière flottant au vent (un vent d’ouest, vous remarquerez, si l’on estime bien sûr que le nord nous fait face, lieu évident de prédilection du Mal, car c’est ainsi plus pratique pour voir le nom de la chose !). Voici dans toute sa splendeur la naïveté qui emplit de magie les tonneaux de la légende. Et de légende il va bien sûr être question au fil de cet album de power metal brésilien.

Intro épique, aux accents étrangement plus western qu’un cercle de chevaliers de la Table Ronde, mais bon, passons. Dès le premier morceau, musclé à l’excès, tout en riffs et à la rythmique heavy à t’en faire tomber les ratiches, on se retrouve dans le sillage du Judas Priest de la grande époque, de Primal Fear aussi, de Manowar évidemment. Les mots sont vite lâchés, et ils ne sont pas innocents « the gods of heavy metal, they are all by my side« . Yuri Fulone Guimaraes, leader du groupe dont nous allons parler, n’est en rien un plagiaire, mais bel et bien un vassal, luttant pour la cause qu’il défend, créant ainsi son propre univers, dans le sillage et selon la tradition des légendes immortelles ayant forgé le heavy metal auquel le brésilien a prêté allégeance.

Yuri Fulone serait-il à son tour en passe de devenir une légende ? Beaucoup d’éléments tendraient à le laisser penser. Le mystère qui l’entoure tout d’abord, car peu de choses filtrent sur lui, et peu d’éléments apparaissent sur le net, sa page Facebook elle-même étant plus orientée vers son passé que sur son actualité. Et bien entendu, comme pour tout ce qui erre dans le brouillard, les histoires ont tendance à parler de rumeurs plus que de vérités, à s’enfler, à déformer la réalité. Et c’est ainsi que l’on peut lire ici ou là des articles annonçant que Yuri Fulone est un « one man band« , s’occupant de tout de A à Z, pratiquant la guitare aussi bien que la batterie, tenant la basse et les claviers, s’occupant autant du chant que de la création des textes et des mélodies. De là à penser qu’il a fait lui-même la pochette, mixé la zique et produit le tout, torréfié le café (brésilien bien sûr) qui lui aura permis de tenir le choc, il n’y a qu’un pas… Heureusement, votre réanimateur préféré est là pour rétablir la vérité, tranchant dans le vif à coup de scalpel affûté ! Alors non, Yuri n’est pas un dieu,… mais il est peut-être bien un demi-dieu. S’activant depuis 2010 autour du projet portant son nom, le lascar à la longue chevelure a sorti pas moins de trois EP, When The Sky Meets The Earth (2014), The Blacksmith (2014) et In The Steel You Can Trust (2016). Pour la petite anecdote, je recommande à ceux qui vont adorer le nouvel album de ne pas de se lancer en une quête épique et onéreuse pour trouver les trois galettes éditées à quelques centaines d’exemplaires. Dirigez vous plutôt vers la compilation sortie en 2016 chez le label actuel du groupe, Stormspell Records – les amoureux du metal classique, je ne le dirai jamais assez ! – et reprenant le titre du 3ème EP. Y sont regroupés les trois efforts en totalité, et vous aurez même droit à un titre bonus ! Alors, je vais maintenant décevoir ceux qui ont cru un instant aux licornes, aux trolls des cavernes et aux rumeurs de one man band. Yuri, sur l’intégralité de ses sorties, ne s’occupe « que » de la guitare, de la basse et des claviers, sans oublier les compositions et les textes. Bon… c’est déjà pas mal ! Mais non, il n’est pas batteur. Et encore non, il ne chante pas. Sur les deux premiers EP, cette tâche était dévolue à Marcio Barrios (Yrix), aidé sur le second par Mario Pastore. Le nom de ce dernier ne vous dit rien ? Bon, si je vous dit qu’il chante chez Delpht, Pastore, Heaviest et Powerfull, ça vous dit toujours rien ? Zut, vous m’obligez à sortir l’artillerie lourde alors, car moi je gratte sous les ongles des cadavres, je lis dans les tripes et les boyaux ! Ce mec, c’est tout de même le gars qui a enseigné le chant à Edu Falaschi et à toute une flopée de chanteurs à voix sévissant au Brésil. Là, ça vous situe mieux l’ambition de Yuri Fulone ? Depuis le troisième effort, c’est avec l’énormissime Nuno Monteiro (photo) que le gaillard s’est acoquiné, pour le plus grand bonheur de nos oreilles de metalleux raffolant de puissance. Beaucoup de mes confrères ont parlé le concernant (en croyant au passage qu’il s’agissait de Yuri…) de vocalises à la Ronnie James DioBruce Dickinson ou Eric Adams (Manowar). Mouais… Je trouve pour ma part que la voix de Nuno est bien plus proche de celle de Tim « Ripper » Owens, sans qu’il se lance pour autant dans les stridences qui en agacent plus d’un chez l’ex-Judas Priest, ex-Iced Earth, ex-Malmsteen. Pour les passages les plus musclés, on pense surtout aux prestations de ce chanteur d’exception lorsqu’il officiait chez Iced Earth, pour les vocalises plus modulées, on s’aventure plus sur le terrain de Charred Walls of the Damned. Elle brille, cette voix, sur des refrains la plupart du temps très accrocheurs, tel Thunderstorm et sa montée en puissance toute Priestienne, tel aussi le très réussi War Horse, mais échoue parfois sur des morceaux plus poussifs, comme le répétitif et trop simpliste titre éponyme. Elle ne laisse pas indifférent, c’est évident, et contribue fortement à la réussite « true power metal » de cet album bardé de cuir et de fer.

Niveau musique, l’album s’avère varié, aéré. Nous avons déjà parlé de l’intro, assez courte. On enchaîne sur le tonitruant Thunderstorm, modèle de rythmique en acier trempé, avec des riffs comme des lames acérées sur une armure de combat façon jeux et figurines Warhammer 40.000, le tout renforcé par une performance vocale de haute volée. Du vrai metal qui fait mal, au contraire du plus timoré Your Kingdom Will Fall, morceau baigné d’une étrange mélodie jouée aux claviers et rappelant fortement le thème composé par John Carpenter pour l’un de ses films cultes, The Fog (thème déjà repris par The Vision Bleak sur le morceau Elisabeth Dane). On pense ici ou là à Manowar, à Grand magus, à Virgin Steele. La production est au cordeau est met en valeur la rythmique, à chaque fois terrifiante d’efficacité (ah, cette batterie quand elle claque ses accélérations, cette basse, qui plane telle une ombre menaçante !), appuyant également sur la puissance des riffs. Les solis sont présents, situés sans surprise là où on les attend, livrant la prestation attendue pour le genre. Yuri n’invente pas, mais il plaide efficacement son art, menant sa six cordes de main de maître, privilégiant toujours la dynamique du morceau à la branlette de manche égocentrique. Il donne de beaux effets pourtant sur le terrible War Horse – probablement le meilleur morceau de l’album -, en faisant hennir sa guitare comme un cheval qui se cabre, nous entraînant ensuite en une infernale cavalcade sur le champ de bataille. Belle épopée sur le thème des croisades avec le mid-tempo Gates of Jerusalem (difficile de se sortir cette phrase de la tête une fois qu’elle a été entendue !), même si les guerrier saints y cherchent le Graal plutôt que les morceaux de la sainte et véritable Croix – historiens, passez votre chemin !

On a droit a une power ballade, After the Rainy Day, ma foi fort agréable, à l’intérêt rehaussé par le timbre chaleureux de Nuno et à une construction classique, certes, mais fort bien pensée (difficile d’inventer en la matière !). Folkloric Song for the People of the Forgotten Lands (fiou, suis tout essoufflé d’avoir écrit le titre !) convoque les flûtiaux et autres instruments propres au folk metal médieval, proposant un titre étrange dans sa structure, où n’existe en chant que le refrain, les couplets étant interprétés par les instruments ; c’est un peu comme si Tim « Ripper » Owens donnait de la voix dans une chanson folk issue du répertoire de Rhapsody of Fire ou Blind Guardian. Et on continue au rayon des surprises avec le très beau She Walks Through The Flower Fields, ballade (ouais, encore, et alors ?) qui aurait pu sortir de n’importe quel Blackmore’s Night, chantée par la sublime Nayara Camarozano (photo), émule de Tarja Turunen (on ne compte plus ses reprises de la diva). Dommage que l’on enchaîne et termine avec le moyennement réussi The Chosen, titre auquel il manque quelques coups d’accélérateurs, un appui sur les orchestrations, bien trop timides à mon goût, et un break plus inventif, plus osé. Reste qu’avec ce premier véritable album, Yuri Fulone nous propose un excellent album pour tout amateur de power metal épique et musclé, sachant ralentir et respirer quand il le faut, même si certains regretteront la présence de trois titres modérés (en ajoutant l’intro) sur un total de dix morceaux. Les pistes proposées se révèlent très intéressantes et on se prend à espérer une prise de risques plus importantes sur le prochain album, une montée dans cette puissance que l’on sent encore muselée, car la bête en a dans le ventre, c’est évident, et ne demande qu’à hurler, à riffer, à cisailler à coups de solis ravageurs.

Je vous laisse pour terminer avec la chanson Thunderstorm, qui plus que mes mots, saura vous convaincre du potentiel de ce groupe.

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