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Un album de chants de Noël à chroniquer offert en pâture au découpeur de tripes du site ? Cela sent la blague de potache à plein nez, et pourtant, je vous assure, ce n’en est pas une, je me suis même déclaré volontaire ! J’avoue, j’ai carrément haussé la main dans les airs en montant sur un escabeau pour être sûr de l’avoir (merci Freyja pour avoir dit « oui » !) ! Que voulez-vous, c’est un peu ma dinde de Noël à moi, mon petit plaisir coupable, surtout quand le volatile remue encore (et ne pensez surtout pas que je rêve en secret de me farcir l’artiste dont je vais parler !). Oula, nous sommes déjà le 05 janvier 2018 ! Mais il est temps que je m’y mette me direz-vous ! Alors oui… et non, car je le dis tout de suite, cet album de… chants de Noël, donc, possède l’étrange particularité de pouvoir s’écouter en dehors de cette courte période, exploit que n’a pu réaliser à mes yeux le Halford III qui possédait pourtant certains attraits, n’en déplaise aux puristes et râleurs que l’exercice agace. Avouez tout de même que les metalleux ne sont pas les premiers à se jeter sur les galettes souvent improbables et parfois il est vrai bassement mercantiles qui naissent au mois de décembre chaque année. Et ne parlons pas du grand public, qui ne va pas péter des vitrines en poussant des cris féroces pour se procurer l’étrange version de O Come, O Come, Emmanuel interprétée par le chanteur de Judas Priest. Et quand on cite Judas, c’est pas vraiment le meilleur moyen de vendre un album à des cathos convaincus par l’instant béni qu’est la Nativité !
L’exercice s’est souvent limité à des chansons plus qu’à des albums. Pensons notamment au No Presents for Christmas de King Diamond, au Jingle Balls de Korn, inquiétant à souhait, monstrueux de basse, au Black Xmas de Venom, mais des albums entiers se sont aussi vus consacrer à la Nativité, version metal, comme l’hilarant A Twisted Christmas de… Twisted Sister. C’est au tour de la diva Tarja Turunen de se fondre dans ce décor empli de neige et de guirlandes, de guimauve et de lutins. Et la finlandaise n’est pas novice en la matière puisqu’en 2006 elle signait déjà Henkäys Ikuisuudesta, qui représentait par ailleurs son premier effort solo. Il s’agissait là de quelque chose de très traditionnel, en rien metal, et la belle nous y enchantait de sa voix de cristal sur des classiques interprétés dans diverses langues (finlandais, anglais, allemand, espagnol et latin !). Le piano l’accompagnait le plus souvent, notamment sur un superbe Ave Maria se devant d’être écouté religieusement à chaque Noël… et en famille, comme le reste de l’album d’ailleurs ! La crèche, les rennes, le feu de cheminée et le sapin décoré, tout se devait d’être là pour savourer cet opus, mais difficile d’y prendre goût sous le soleil des tropiques en plein cœur de l’été… (même si Marian Poika avait tout de même quelque chose d’ensoleillé avec sa rythmique antillaise !).
En est-il de même avec ce From Ghosts and Spirits, sorti chez earlMusic ? La réponse après dissection est claire : non ! Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’album est sous-titré (Score for a Dark Christmas), indiquant la nouvelle approche que souhaitait l’artiste, se refusant à raison de jouer la redite et préférant continuer à fouiller le style qu’elle s’est peu à peu forgé au sein de sa carrière solo. La part sombre de la période de Noël est ainsi abordée, comme le montre au travers de l’artwork la diva tantôt vêtue de blanc ou de noir, mais toujours dotée de ces griffes impressionnantes dignes du Grinch. Il y a des malheureux durant cette période, des laissés pour compte n’ayant que faire de ces vitrines débordant de lumières et de cadeaux, si ce n’est voir grossir en eux cette envie mutant peu à peu en une haine profonde, prêts à déposer le Mal au pied du sapin, sans paquet coloré ni ruban mordoré.
Vous avez déjà goûté à un album de Noël plus gothique que festif, plus sombre que joyeux ? C’est rare. Oh, il y avait bien la fabuleuse bande originale (score en anglais, tiens tiens !) du film d’Henri Sellick, L’Etrange Noël de Mr Jack, signée Danny Elfman, même si celle-ci ne faisait que graviter autour de l’univers de Noël sans en reprendre les thèmes éculés. Mais en disant cela, on ne tombe finalement pas si loin avec ce qu’est le nouveau Tarja. Non, la diva n’a pas joué l’opéra gothique ultime, elle n’a pas cherché à mêler Halloween et Christmas, mais elle a, par ses emprunts au style sombre et macabre qu’affectionne Mr Elfman depuis ses premières œuvres pop au sein d’Oingo Boingo, donné un aspect tout particulier à ce nouvel opus. Et n’oublions pas que depuis son premier véritable album solo, My Winter Storm (2007) – dont on retrouve ici quelques ambiances, quelques notes (écoutez le début de Deck The Halls) -, la belle s’est vue aidée par le compositeur de musiques de films Hans Zimmer, orientation qu’elle souhaitait suivre pour nimber ses propres compositions d’une aura toute cinégénique. L’influence du compositeur se fait encore sentir ici, notamment sur We Three Kings ainsi que sur l’étonnante version de O Tannenbaum. Les deux chansons feront largement penser à la musique de Pirates des Caraïbes, le premier morceau prenant des airs du thème de Davy Jones avec son inquiétante et mélancolique boîte à musique, tandis que le second convoque carrément après un début pourtant poignant et presque a capella la furie de l’orchestre, les percussions faisant penser au fracas des canons. What Child is This sera lui aussi secoué par la force de cet orchestre accompagnant Tarja tout au long de l’album. Le plus calme Deck The Halls doit quant à lui autant à Elfman qu’à ces musiques naïves (à entendre dans le sens « art naïf ») hantant les gialli italiens des années 70, et je pense notamment ici à la ritournelle du très réussi Mais Qui l’a Vue Mourir ?, film d’Aldo Lado, dont l’action se déroule à Venise. Alors non, ne cherchez pas les guitares, elles sont totalement absentes ici. Cet album restera bel et bien à part dans la carrière de l’artiste, même s’il est certainement plus à rattacher à sa véritable facette solo qu’à ses petites incartades classiques ou traditionnelles que furent Henkäys Ikuisuudesta, Noche Escandinava II – A Finnish Evening from Buenos Aires et In Concert Live At Sibelius Hall. Musique et cinéma se mêlent une nouvelle fois en un délicieux ballet.
Tarja se montre tout du long d’une parfaite retenue, ne poussant jamais trop loin sa voix dans ces notes qui ont fait sa célébrité, laissant plutôt l’émotion envahir les compositions, conviant les interventions de l’orchestre pour donner du corps à son art. O Come O Come Emmanuel s’avère à ce titre être une grande réussite, mélancolique en diable, ouvrant parfaitement l’album, et ce d’une façon très ironique : comment ne pas sourire en entendant cette voix sombre, dépourvue d’espoir, chanter le mot « rejoice, rejoice » ? Puis vient l’inédit, composé spécialement pour s’intégrer dans cet écrin de velours sombre. Together est une magnifique composition, qui aurait probablement su trouver sa place sur My Winter Storm, album solo dont l’ambiance est la plus proche de ce conte de Noël pour enfants pauvres à la Charlie et la Chocolaterie.
Alors oui, il y a aussi des moments plus joyeux, comme Feliz Navidad, Have Yourself A Merry Little Christmas, Amazing Grace aussi, avec ses accents patriotiques au sein desquels la cornemuse s’est effacée au profit d’une rythmique toute zimmerienne propre à gonfler le torse de tout héros hollywoodien qui se respecte. Ces morceaux, même s’ils restent beau, cassent un peu l’ambiance et amènent peut-être un peu trop de lumière au sein de ce qui jusqu’ici était délicieusement sombre. Mais Tarja n’a jamais voulu gommer l’espoir. Elle le porte même tel un flambeau qui ne devrait jamais s’éteindre, ayant le 08 décembre dernier (c’était le jour de mon anniversaire, merci Tarja !!!) proposé une seconde version de la chanson Feliz Navidad dont les bénéfices sont entièrement versés au sinistrés de l’ouragan Irma vivant sur l’île de Barbuda, îlot sévèrement touché. Cette version rallongée inclus des invités de marque : Doro Pesch, Michael Monroe, Tony Kakko (Sonata Arctica), Elize Ryd (Amaranthe), Marko Saaresto (Poets of the Fall), Timo Kotipelto (Stratovarius), Simone Simons (Epica), Cristina Scabbia (Lacuna Coil), Joe Lynn Turner (Rainbow, Deep Purple), Floor Jansen (Nightwish), Hansi Kürsch (Blind Guardian) and Sharon Den Adel (Within Temptation). Sacré cadeau !… Trop de joie ? Allez, on se rattrape avec la mélancolie presque orientale qui baigne God Rest Ye Merry Gentleman, qui semble réellement appartenir au répertoire de la diva tant elle s’est accaparée ce morceau et l’impose comme une incontestable réussite. Tout se termine sur l’étonnant (ouais, c’est vrai, j’ai souvent été étonné à l’écoute de ce disque, et c’est plutôt bon signe) We Wish You A Merry Christmas, pas vraiment jouasse. De cette hésitation entre l’ombre et la lumière naît probablement la toute relative imperfection de l’ensemble, mais on est en droit de se demander si ne choisir que l’une des deux options n’eut pas été plus préjudiciable à l’ensemble. La joie aurait fait crier à « l’album de Noël à passer au moment où arrive la bûche glacée et ou teintent les coupes emplies de champagne » et hurler les puristes de tout poil – ils ne vont pas se priver d’ailleurs, malgré une étude qui se devrait plus approfondie ! La noirceur aurait rendu le tout sans doute un peu trop difficile à digérer, car il est tout de même peu aisé d’ôter toute note d’espoir à cette période dont l’essence même est d’être emplie de magie. Tarja a pour moi su trouver un équilibre savant entre les deux et livrer avec le bien nommé From Spirits and Ghosts un album à part se justifiant malgré tout dans la voie qu’elle s’est tracée depuis son départ de Nightwish. Beau, personnel, lyrique et imposant des images faites pour le 7ème Art.
Ne faîtes pas les ronchons et donnez sa chance à cet album aux ambiances gothiques dont vous pourrez savourer la teneur à tout moment, et pas seulement la nuit du 24 au 25 décembre, comme certains râleurs éternels ont su l’écrire. La critique est facile, mais cet album est bien plus subtil que quelques mots écrits à la va-vite. En somme, un bien bel exercice de style, en marge des classiques du genre.
Allez, en cadeau à tous, car je vous aime du plus profond du cœur, je vous offre la version pleine de paillettes et d’invités de Feliz Navidad ! Et pour ceux qui voudraient faire un geste en achetant la version numérique, j’ai mis le lien plus bas, car je suis bien du genre à vous pousser à la consommation, surtout quand c’est pour la bonne cause ! Et n’oubliez pas, avec Tarja, c’est désormais Noël toute l’année !