- (Chronique) SUICIDAL MADNESS – Au Crépuscule d’une Vie - 4 décembre 2015
- [Chronique] ABADDON INCARNATE – Pessimist - 23 septembre 2015
Il y a fort à parier pour que la plupart de nos lecteurs n’aient encore jamais entendu parler de Suicidal Madness, hormis peut-être ceux qui suivent de près la scène Black Metal underground française. Je vais donc, comme à mon habitude, commencer par vous présenter ce combo, qui évolue dans un sous-genre aujourd’hui relativement répandu, à savoir le DSBM (Depressive Suicidal Black Metal).
Suicidal Madness voit le jour en 2010 par l’initiative de Psycho (guitares), lequel est bientôt rejoint par Saddy (chant), Alrinack (basse) et Molasar (batterie), tous trois également membres du groupe P.H.T.O., basé à Evreux en Haute-Normandie. Les premières compositions annoncent la couleur pour la suite, puisqu’il s’agit de Black Metal dépressif et suicidaire. La tragédie frappe le groupe au début de l’année 2011 : alors que la première démo se termine, Molasar décide en effet de mettre fin à ses jours, laissant derrière lui ses camarades mais également une famille désemparée. Se retrouvant sans batteur, le groupe décide malgré tout de continuer sa route en utilisant une boîte à rythmes. C’est Malsain, du groupe Sombre Croisade (dans lequel officie également Alrinack), qui s’occupera de cette tâche à distance – puisqu’il vit pour sa part dans le sud de la France – et qui deviendra dès lors membre permanent de Suicidal Madness. La démo « Les Tourments de l’Ame » est ainsi finalisée et sort finalement quelques mois après, dans un premier temps en CD-R autoproduit, puis en version k7 sur le sulfureux label D.U.K.E. (Die Unaussprechlichen Kulten Editions). Dans la foulée, on assiste à la création d’un collectif baptisé « Molasar Dream’s » réunissant tous les groupes et projets des amis proches de Molasar. Il a pour but de lui rendre hommage et de faire perdurer son amour pour la musique. Au sein de ce collectif, nous retrouverons les groupes et projets suivants : P.H.T.O., Suicidal Madness, Sombre Croisade, Loup Noir, Asphodeles, Blukovla, Vils Serpents, Dernier Souffle, Vision et Temple. Une compilation « Tribute to Molasar » en deux volumes réunissant les groupes du collectif sortira ensuite en version k7 sur le label québécois Atramentum Productions. En janvier 2012 (soit pratiquement un an jour pour jour après le décès de Molasar), Suicidal Madness effectue son premier concert en première partie de Nocturnal Depression. Mars 2012, un split CD avec Sombre Croisade sort sur le label Mortis Humanae Productions ; une version k7 sort également peu de temps après chez D.U.K.E. Un an après, en mars 2013, le groupe sort sa seconde démo avec quelques mois de retard, toujours chez Mortis Humanae Productions : c’est cette œuvre, intitulée « Au Crépuscule d’une Vie », qui fera donc l’objet de notre chronique. La musique de Suicidal Madness devient alors plus mélodique et aérienne qu’auparavant, tout en conservant un côté mélancolique. Actuellement, le groupe est en train de terminer le mixage et le mastering de son premier album, qui s’intitulera « Les Larmes du Passé » et qui devrait sortir avant la fin de l’année 2014.
La pochette de la démo « Au Crépuscule d’une Vie » présente un paysage crépusculaire montrant les eaux calmes d’une rivière bordée par une forêt de sapins. D’emblée, le groupe semble nous inviter à un voyage, et nous commençons sans attendre l’écoute de la première des six pistes que compte cette œuvre. Il s’agit en l’occurrence d’une introduction d’une durée de deux minutes et cinquante-trois secondes : débutant par des arpèges joués en son clair, qui seront ensuite doublés par des accords plaqués avec utilisation d’une pédale de distorsion, celle-ci nous pénètre d’un sentiment de profonde mélancolie et nous laisse d’ores et déjà deviner que la présente démo pourrait s’avérer dangereuse à écouter pour toute personne souffrant de tendances suicidaires. A priori, c’est de toute façon le but recherché : nous savons fort bien que nous n’avons pas affaire ici à la Compagnie Créole !
La seconde piste, qui correspond donc au premier véritable morceau, s’intitule « Exile ». D’une durée de six minutes et quatorze secondes, le titre en question vient confirmer les informations que nous avions déjà reçues : la musique du groupe s’avère effectivement mélodique, aérienne et extrêmement mélancolique. On discerne là des influences mêlant Black Metal et Post-Rock, avec de nombreuses interventions d’arpèges joués avec un son électrique et des variations de tempo évoluant entre un rythme lent et modéré. Le tout est soutenu par la voix rauque et maladive de Saddy, qui semble inviter l’auditeur à se procurer de toute urgence une corde, une lame de rasoir ou tout autre ustensile qui pourrait lui permettre de mettre fin aux souffrances de son existence inutile. C’est donc dans la joie et la bonne humeur que nous passons à l’écoute du titre suivant : « Le Chant de la Nuit ». Celui-ci est un peu plus court que le précédent – quatre minutes et trente-six secondes – et le tempo est également un tantinet plus rapide. En dehors de cela, même verdict : ce chant de la nuit a probablement pour but de faire de cette nuit la dernière de votre vie. Je saluerai au passage le jeu de guitare de Psycho (notons qu’il y a deux guitares dans Suicidal Madness et que Psycho prend en charge les deux), qui s’avère très différent de celui du guitariste de P.H.T.O. : Saddy et Alrinack peuvent de ce fait s’exprimer dans deux groupes de DSBM (puisque c’est aussi le genre auquel appartient P.H.T.O.) ayant des sonorités radicalement différentes. Le troisième morceau, « Poussières », s’inscrit dans la lignée des précédents, avec une durée de cinq minutes et cinquante-huit secondes. Il nous permettra d’entendre, pour la première fois sur cette démo, un passage chanté en voix claires (ou plus exactement « parlé », car il n’est pas question pour Saddy de pousser la chansonnette, ce qui pourrait suggérer une certaine joie de vivre, qui est totalement bannie de l’univers de ce groupe). Le cinquième morceau, d’une durée de trois minutes et cinquante-neuf secondes (donc, un peu plus court), s’intitule « Ballade Nocturne ». Peut-être n’avais-je pas prêté suffisamment attention à cela lors des morceaux précédents, mais je constate ici que l’on distingue très bien la basse : le morceau se terminera d’ailleurs par une outro jouée à la basse seule. Notons aussi que l’on peut à nouveau entendre un passage en voix claires, encore une fois parlé ou récité. En dehors de cela, tout ce qui a été dit précédemment peut toujours s’appliquer : l’ensemble est marqué par une mélancolie omniprésente, et l’univers musical du groupe est particulièrement homogène, car rien ne vient choquer l’auditeur et chaque morceau se situe dans la même veine.
On a ainsi quasiment l’impression de voguer sur les eaux de la rivière que nous montre la pochette, des eaux aux apparences tranquilles mais qui nous conduisent inlassablement vers un destin funeste. Le dernier morceau, « Decrepitude », est une reprise du « one-man band » norvégien Burzum, qu’il n’est plus besoin de présenter. La reprise s’avère assez fidèle à l’original, en dehors du fait qu’elle ne contient nulle trace de synthétiseur contrairement au cas de Burzum. A travers le choix de cette reprise, le groupe témoigne évidemment son admiration pour Burzum (en tout cas sur le plan musical), lequel a toujours été une influence majeure pour les groupes de Black Metal atmosphérique ou dépressif (ou tout du moins, pour un grand nombre d’entre eux), mais je trouve également que ce choix a été fait de manière particulièrement intelligente, car cela s’accorde particulièrement bien avec les autres morceaux de la démo. C’est ainsi que celle-ci se termine et je n’aurai pas été déçu, au final, par cette œuvre dont la durée totale dépasse légèrement une demi-heure. Le groupe parvient à travers sa musique à véhiculer des émotions particulièrement fortes, avec bien plus d’efficacité que beaucoup d’autres combos plus connus évoluant dans un genre similaire. On ne doutera également pas un seul instant de la sincérité des membres, pour qui cette mélancolie, cette tristesse, trouve ses racines dans un évènement tragique qui a marqué leur existence à jamais, à savoir la disparition de leur ami Molasar. Et là ne sont pas les seules racines de cette mélancolie, car on devine également de manière évidente un mal-être profondément ancré, notamment dans le chant torturé de Saddy mais également dans les compositions de Psycho. Le seul bémol pourrait être le son, qui présente parfois quelques petites irrégularités, mais cela ne m’aura pas gêné outre mesure : on a déjà entendu largement pire et ce n’est qu’un euphémisme ! Rappelons-nous également qu’il ne s’agit là que d’une démo, réalisée avec un petit budget, et au final le groupe s’en sort très bien ! Attendons donc avec impatience leur premier album, qui devrait sortir d’ici la fin de l’année. Je ne peux que recommander cette démo à tous les amateurs de Black Metal atmosphérique ou dépressif, mais aussi à tous ceux qui s’intéressent à la scène underground française. Et aux membres de Suicidal Madness, je souhaite tout le meilleur pour la suite !