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Etre chroniqueur amateur n’est point un loisir aisé à gérer, loin de là. Et n’ayez crainte, mon but n’est pas ici de jouer les pleureuses, bien au contraire. Je veux juste éclaircir les idées de chacun – et les miennes au passage, car vous parler en ce lieu est un peu comme aller à confesse -, sur la facette d’un hobby obscur, bourré d’a priori et d’idées préconçues (Quoi ? Vous vous en foutez ???). Alors non, pour commencer, il ne s’agit pas d’attendre patiemment devant son ordinateur qu’une liste d’albums conséquente arrive, gracieusement envoyée par les labels (que je tiens à remercier au passage !) et laborieusement classés par des webmastrices en cuissardes de cuir (si si, je tenais à le préciser, elles sont cuir et peau de vache, et ici le féminin l’emporte, hein les mecs !), de faire son choix tranquillement, après avoir lu et entendu de quoi il s’agissait, puis de cliquer sur des liens à télécharger que l’on va s’écouter en boucle avant de rendre son papier. C’est avant tout le fruit d’une passion : celle du genre abordé, celle de la découverte permanente, et enfin de l’envie (et l’effort, car ça vient pas tout seul !) de partager ! Cela induit généralement le fait que tout chroniqueur digne de ce nom – et j’espère en être, à ma modeste échelle -, est avant tout un consommateur à grande échelle, un acheteur compulsif – et souvent en format physique, si possible dans la version « rare deluxe digipack de la mort qui tue » ! -, un être risquant la mort à chaque fois qu’il retire un cd (toujours placé en bas, forcément !!!) de l’une de ces piles monstrueuses grimpant à hauteur de norvégien (sont plus grands que la moyenne, j’ai vérifié !), un pauvre hère sermonné à longueur de journée par sa chère et tendre au motif absurde que n’on ne verrait plus la couleur du papier peint ou parce qu’avec tout l’argent ainsi dépensé on pourrait partir à l’autre bout du monde. Comment diable lui faire comprendre, à cette tendre épouse, que chaque livraison n’est autre qu’une invite au voyage, à la découverte ? Elle rêve d’aller au Canada ? Pas de problème, j’en reviens justement, grâce au nouvel albums des bûcherons de Neck of the Woods ! Je suis moins terre à terre, c’est tout !
L’autre spécificité du chroniqueur – et j’en terminerai par là -, est de fureter partout, genre Bandcamp, et d’être parfois sur le point de procéder à l’achat d’un truc lui attirant l’œil (ouais, il est aussi très attiré par le visuel le chroniqueur metal lambda, et faut bien avouer que les sorties de ce genre ont bien plus de gueule qu’un truc de pop à la noix ou de variété française, même si j’adore le joli minois de Nolwenn Leroy !) et l’oreille, jusqu’à ce qu’il se dise soudain « c’est bizarre,… le nom du groupe me dit quelque chose« . C’est donc ainsi que j’ai failli acheter le dernier Neck of the Woods, qui attendait dans la liste des trois ou quatre chroniques rôdant en permanence autour de moi, comme une meute à l’affût ! Et à vrai dire, ce n’aurait été ni la première ni la dernière fois qu’un achat double aurait par un tel maniaque été réalisé… La question me menant à cette chronique (ouais, enfin, j’y viens, mais doucement !) est donc : l’achat aurait-il en ce cas été justifié sans faire hurler de rage ma douce et tendre, dotée de surcroît d’une droite sévère ? Prenez une feuille, vous avez vingt minutes !
Esthétiquement parlant, l’achat en vaut largement la chandelle, tant l’artwork concocté par Kevin Moore (je vous recommande d’aller jeter un œil à son site, Soft Surrogate) est bluffant de réussite. Silhouette blanche aux allures de spectre (on pense à Halloween, La Nuit des Masques, la scène de la chambre à coucher, même les lunettes noires ici stylisées y sont, regardez c’est à côté !), sur fond de couleurs chaudes, forestières, avant que l’on ne remarque en y regardant de plus près la haute silhouette noire et inquiétante dominant la première, comme un reflet obscur de ce qui nous guide parfois, ou peut-être de ce qui nous attend ici.
Musicalement parlant, autant se jeter à l’eau tout de suite et dire que vous ne regretterez pas votre argent, si toutefois vous lisez attentivement les mises en garde qui vont suivre et achetez ainsi en connaissance de cause – vous pourrez alors dire sans hésiter, « merci Tonton Herbert » !
Primo, Neck of the Woods n’est pas un groupe aisé à cerner. Les étiquettes, ils n’aiment pas, et les gaillards se sont gorgés d’influences variées pour offrir une musique qui leur ressemble, taillée dans le bois des titanesques sapins de Douglas à Cathedral Grove, dans le parc MacMillan (les plus grands arbres du Canada, c’est là-bas !). Alors si vous aimez les trucs balisés, qui ne franchissent pas les limites du chemin et respectent à la lettre les dogmes, vous pourrez être déçu, voire carrément agacé. Le quintet de Vancouver livre une musique mêlant adroitement et essentiellement trois genres : le death metal, le heavy moderne, racé, à la production clinquante, et le prog metal ! On pourrait sans trop se tromper tenter l’appellation de deathcore progressif. Neck of the Woods, c’est tout d’abord le leader Jeff Radomsky, chanteur au cheveux courts et à la silhouette élancée, perfectionniste jusqu’au-boutiste ! Il n’y a qu’à jeter une oreille – et les deux, c’est mieux -, au premier opus, l’EP éponyme à l’artwork déjà léché, pour s’en convaincre (mai 2015). 29 minutes déjà bien ambitieuses, après la démo sortie en 2013. Arrive enfin le long, enfin, il faut le dire vite, et c’est là que les choses intriguent, se compliquent, car nous est offert un album à peine plus long, surtout si l’on enlève les deux instrumentaux destinés à donner de l’air à la machine (c’est leur unique but). Du death prog technique balancé comme une salve en seulement 35 minutes ? C’est bien ça, vous n’avez pas rêvé, et cerise sur le gâteau, ou trou dans le donuts, ce n’est pas du foutage de gueule ! Ils sont forts les canadiens ! Mais quel est donc leur secret ?
Une rythmique d’enfer tout d’abord, maîtrisant son art avec une précision toute chirurgicale ! La batterie tout d’abord. Tenue de main de maître par Jeremy Gilmartin, elle est un modèle de précision, dont le rendu peut paraître un peu synthétique de prime abord, mais qui possède au fil des écoutes un sens du touché, du tempo, proprement phénoménal ! Des heures de travail en studio, c’est certain. Je vous en promet du temps d’écoute avant de percer ne serait-ce qu’une partie de ses secrets ! Puis la basse de Jordan Kemp, caressante et très bien servie par la prod malgré le chaos sonore de White Coats, où l’artiste y joue même le break de façon remarquable. Un régal ! Mais que serait donc une rythmique seule au sein d’un groupe avançant à pas non feutrés sur le terrain ambitieux du prog sans une bonne paire de… guitares ? Ouais, ça sert aussi ! Dave Carr et Travis Hein brouillent les pistes avec talent au sein de chaque morceau, allant de la rythmique basique du metalcore aux envolées ambitieuses à la Opeth, époque Blackwater Park (ouais, vous avez bien lu). Ecoutez donc Bottom Feeder et surtout le sublime solo de You Will Always Look the Same to Me – j’en chiale encore, mais le répétez surtout pas ! Et si ça ne suffisait pas, sur Nailbiter, la gratte nous offre en bonus un solo de malade purement heavy, à la fois classique et classieux, chargé à la dopamine. Le solo part sans prévenir, à cent à l’heure, et grave à jamais un sourire béat sur le visage des blasés les plus sévères ! Côté ambiance, on bascule du côté tribal et néo de Slipknot avec les percussions agressives de Foothills, montant d’un cran en agressivité grâce à la rythmique avant qu’une direction opposée ne soit imposée par les guitares se la jouant soudain planantes. Et il est là le secret de Neck of the Woods, cette énervante capacité (c’est bien un compliment, nous ne sommes pas des fillettes et aimons que la musique nous prenne aux tripes, s’amuse avec nos nerfs !) à pouvoir passer d’un style à un autre en un quart de seconde, au détour d’un pont, d’un break. Toutes les trente secondes, ou presque, on sent cette possibilité à s’engager dans tel couloir musical, et puis non, on continue pour aller ailleurs, et c’est encore bien mieux – et frustrant à la fois -, comme un orgasme qui monte, maîtrisé par notre partenaire, véritable ceinture noire de kamasutra ! S’ils se la jouent impro lors de leurs prestations live, nul doute que nombre de morceaux pourront en sortir sacrément transformés !
La voix, j’ai pas encore parlé de la voix… Jeff Radomsky hurle comme il faut, dans un registre plus proche du deathcore (on pense à des screams rageurs, même si ça a des airs de growls) que celui du death pur et dur. C’est moderne, efficace, déjà entendu probablement, mais elle tient la voix de bout en bout cette voix, et on sent bien que le canadien donne tout ce qu’il a dans les tripes : sa rage, ses nuance aussi parfois.
Avec ce premier album travaillé jusque dans le moindre recoin, Neck of the Woods dépasse la concurrence de la tête et des épaules, même s’il nécessitera pour s’épanouir (ben oui, faut bien vendre) un public aimant le mélange des genres et les défis apparemment insolubles (ouais, du death prog technique de 35 minutes, ça laisse rêveur !). Chez certains ça casse, avec eux ça passe, la courte durée étant laaaaaargement compensée par la richesse du contenu, donnant de façon bluffante l’impression que l’on a goûté à quelque chose de beaucoup plus long. C’est ce que l’on appelle de la personnalité ! Bravo les gars, à suivre de toute urgence !