[Chronique] KORN – Jonathan et ses démons ; histoire de l’artworK chez Korn

Herbert Al West - Réanimateur Recalé
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Un kollègue et moi parlions récemment de l’opposition de style entre Korn et Metallica, tant sur le point de vue musikal que vestimentaire, n’hésitant pas d’un kôté komme de l’autre à se chamailler pour remettre en kestion ou défendre le statut de kulte de chakun (et komme j’ai tendance à mettre des « k » partout, vous devinez de quel kôté je penche… koi ? z’aviez pas remarké ??? OK, j’arrête !). Les deux groupes ne jouent clairement pas dans la même cour de récré, et nous ne sommes pas là pour déterminer qui de l’un ou de l’autre possède la plus grosse. Korn et Metallica s’opposent déjà par l’image et le vécu que trimbalent leurs leaders, James Hetfield d’un côté et Jonathan Davis de l’autre. Tous deux représentent une certaine imagerie fantasmée de l’Amérique. L’un est une véritable baraque d’1,86 m, amateur de sports plutôt physiques et de vieilles bagnoles à restaurer, que l’on imagine volontiers dans ces bars enfumés peuplés de motards hirsutes, une Budweiser à la main. Fils de routier, l’adolescent James a connu les galères, certes, avec le décès prématuré de sa mère et un rapport conflictuel avec les études, mais il a toujours été très entouré, affrontant la vie comme sa stature de colosse le lui permettait. Du côté de Jonathan, c’est un peu différent. Gringalet de nature, le rejeton verra sa vie décomposée dès le divorce de ses parents alors qu’il n’avait que trois ans. Bon, avoir plusieurs papas et mamans, une sœur, deux demi-frères et sœurs, rien que de très banal me direz-vous. Tout se complique cependant lorsque violence et viol (supposé pour celui-ci, rien n’est clair) viennent égayer le quotidien du bambin. Tout comme James, il possède le bon goût d’être fan du sieur Alice Cooper, mais quand vous vous trimbalez un look d’endive et que vous maquillez vos yeux de rimmel pour vous rendre au collège, ça n’aide guère à se faire des amis. Les insultes homophobes, le Jonathan, il connaît (par bravade, il s’est fait tatouer HIV sur l’épaule !). Et quand en plus on commence à bosser dans une morgue… Pas étonnant que tout cela transparaisse dans la musique des deux gaillards. James va balancer beaucoup de puissance au travers de ses riffs et vocaux, abordant parfois des thèmes qui lui sont chers (le goût des armes et de la peine de mort). Jonathan, lui, va créer un univers digne d’un rêve de psychanalyste. Cet univers va transpirer de son interprétation forcément torturée (hurlements de forcené, pleurs), des thèmes abordés (le viol dans Daddy, les envies de meurtre dans Kill You, les coups du beau-père dans Falling Away From Me…), des clips (souvent géniaux !) et du soin tout particulier apporté au choix des pochettes d’albums. 12 artworks de légende abandonnant aux autres le soin de se trouver une mascotte (même si nous trouvons ici et là de nettes redondances), 12 pochettes Kultes sur lesquelles nous allons maintenant nous étendre.

korn-kornTout commence avec l’album éponyme et son inquiétant bac à sable. Une jeune fille en socquettes, assise sur une balançoire, faisant face au soleil et à l’inquiétante silhouette se détachant en ombre, croquemitaine dont on imagine sans peine le désir d’enlever la gamine. Cliché dû au photographe Stephen Stickler, sur une idée de Jonathan Davis lui-même. L’ombre de la fillette est littéralement pendue au logo du groupe, trouvaille qui enthousiasma le groupe et rajouta à son côté choquant, de même que les « mains » déshumanisées de l’ombre et transformées en sinistres griffes ou crochets. Le cliché est complété par celui ornant le dos de l’album, clôturant sinistrement l’histoire narrée en seulement deux photos, montrant un bac à sable désormais vide, orné d’empreintes de chaussures d’homme, bizarrement inclinées dans ce qui semble être la silhouette d’une maison. L’image de l’enfance sacrifiée du leader nous est ici livrée, nue, malsaine, obsessionnelle, et qui n’aura de cesse de revenir au fil des livraisons. Kulte !

korn-life-is-peachy-20160821135443Stephen Stickler revient sur Life Is Peachy, seconde livraison de la bande de Bakersfield, mais seulement pour les photos couvrant l’intérieur du livret. C’est à Martin Riedl que l’on doit le sinistre et nouveau cliché, design et concept revenant quant à eux à Scott Leberacht. Sur un superbe traitement en noir et blanc, un enfant fait face à son reflet, occupé à serrer le col de son vêtement. Derrière lui se dresse une ombre bien plus grande, même si elle semble dessiner la même silhouette. Un visage se devine en ce reflet empli d’obscurité, un visage duquel tout regard est absent, avalé par d’insondables ténèbres. On peut y voir l’image de l’enfance, bercée d’innocence, destinée à grandir inexorablement et à côtoyer la noirceur du monde adulte, fruit de ce reflet parfois sordide entourant son apprentissage de la vie. Le miroir et sa symbolique seront – avec l’enfance – des constantes incontournables dans l’univers de Korn.

korn_followPlace au dessin sur Follow The Leader, avec, excusez du peu, mister Todd McFarlane himself (et ses comparses Greg Capullo et Brian Hagelin pour les finitions et la colorisation). Quoi, vous ne vous y connaissez pas en comics ??? Todd est le créateur de Spawn, ce super-héros un tantinet radical, ancien flic revenu du royaume des morts en tant que général des Enfers et prêt à appliquer des méthodes brutales pour nettoyer les rues de sa ville et protéger sa fiancée. Une pointure ayant le grand mérite d’avoir su échapper à la poigne des géants Marvel et DC et proposer un univers dans lequel les créateurs se trouvent enfin libres d’exprimer leur talent. Encore une fois, l’enfance est mise en avant, terrible d’innocence et d’inconscience : on y voit ainsi une petite fille – la seule échappant aux tons sépias du dessin avec sa robe aux accents rouge-vif – jouant à la marelle au sommet d’un a-pic vertigineux et entraînant avec elle une flopée de gamins insouciants. A noter que le clip Freak On A Leash sera imagé par le grand Todd, déclinaison de l’histoire amorcée par cette magnifique cover.

51txk3r9felEt on continue avec Issues, qui représente un véritable challenge dans la pensée créative du groupe puisque son artwork fut confié à… ses fans ! Fort de sa popularité après l’écoulement de 14 millions du précédent album, Korn lança un concours sur MTV. Épreuve et prix étaient bien évidemment l’illustration de la pochette et le gagnant en fut Alfredo Carlos, nous offrant le dessin faussement naïf d’une peluche abandonnée, grossière, éventrée et énucléée, image qui allait coller fortement à celle du groupe, puisqu’on allait la retrouver sur deux autres albums du combo, See You On The Other Side et The Serenity of Suffering. Cette peluche, c’est l’enfance dans toute sa violence gratuite, c’est aussi ce qu’il en reste lorsque l’adulte porte un regard derrière lui, vers les vestiges de son passé. C’est probablement aussi l’image d’une enfance maltraitée. Sacrée réussite qui permit également aux trois autres finalistes de voir leur travail exposé à l’intérieur du livret, celle de Brad Lambert, montrant le quintet sous forme de poupées stylisées et harnachées d’une camisole de force, ornera même la pochette d’une édition spéciale de l’album.

untouchablesNous en arrivons à Untouchables, virage musical engageant le groupe vers plus de mélodie, avec cet intitulé rappelant qu’à cette époque le quintet n’avait pas grand monde à craindre et pouvait tout se permettre (mais n’a t-il jamais fait autre chose que ce qu’il voulait d’ailleurs ?). C’est à l’artiste Eric White qu’est cette fois-ci confié le soin de mettre en image le nouvel album. La rupture de ton est moins brutale que celle amorcée par la musique, avec toujours cette mise en avant d’enfants sur fond sépia, cette couleur ramenant à quelque chose d’ancien, de figé dans le temps. Les enfants sont cela dit beaucoup moins gracieux que ceux de Follow The Leader, ils traînent un douloureux vécu. En y regardant bien, on voit des nez en sang, des yeux marqués d’hématomes, l’un des gosses arborant un regard borgne. Des piercings ornent même oreilles et nez de certains, faisant douter de la réalité de ces enfants (ne sont-ils pas plutôt l’armée de fans du groupe, ayant juste su préserver une part d’enfance en eux ?). Ce sont eux les véritables Intouchables, ces hors-castes du monde indien oscillant entre le sacré (selon Gandhi) et l’opprimé (la triste réalité de Jonathan).

616zdaxzzl6ème album. Il est temps de regarder en arrière avec Take A Look In The Mirror, histoire de vérifier que l’on n’a pas perdu quelque chose en route et que les racines sont bien vivaces. Jonathan Davis le dit lui-même : « Cet album parle de nous en tant que groupe, il nous force à regarder dans le miroir et nous rappelle d’où nous venons, nous renvoie à nos racines, à l’essence de notre âme ». La direction artistique est confiée à Doug Erb et Brandy Flower. La cover de cet album, c’est aussi le reflet du public, qui se retrouve au premier plan de l’objet qu’il tient entre les mains, lui rappelant qu’il ne doit jamais oublier qui il est réellement… et annonçant aussi que cet album va contenir beaucoup de ce passé qui nous a tant intéressé (l’image est encore sépia, symbole du passé, en opposition avec ce miroir ramenant forcément à une image du présent), l’opus étant la somme de ce qui jusqu’ici a fait la force du groupe. L’intérieur du livret est un vrai bonheur, montrant le groupe (qui était jusqu’ici une véritable famille) aux différentes étapes de sa vie.

51ucpp9kzylEt la symbolique du miroir va revenir en force avec l’étonnant See You On The Other Side, opus ne montrant certes pas l’objet du miroir – puisque nous l’avons traversé -, mais nous ramenant à l’oeuvre de Lewis Caroll et plus exactement à la suite d’Alice au Pays des Merveilles. La limite entre le monde réel et celui de l’imaginaire a été franchie, et avec Korn, pas vraiment sûr que nous soyons réellement au Pays des Merveilles. C’est l’album de la maturité, car la thématique principale du roman de Caroll est celle de l’affirmation pour Alice : de pion, elle devient reine. Mais il ne faut cependant pas oublier que tout ceci n’est qu’un songe, Alice rêvant simplement dans son fauteuil qu’elle passe à travers le miroir. L’univers du romancier et celui plus inquiétant de Korn sont parfaitement retranscrits dans l’illustration de David Stoupakis, mettant en scène l’enfant traumatisé cher à Davis, tenant entre ses mains la désormais fameuse peluche ici décapitée, et couronné par un lapin tandis que veille un sombre cavalier sorti de son échiquier. J’ai montré ça à mon psy, il est parti en hurlant et courant…

61irrinv9ilLa grande inconnue déboule en 2007 avec le mystérieux Untitled (faut bien lui trouver un nom). Glissade vers le côté rock-pop du côté de la musique alors que l’artwork signé ici Richard Kirk laissait présager quelque chose de beaucoup plus inquiétant. Difficile de décrypter le travail pourtant superbe de l’artiste. On semble à mi-chemin entre l’antique planche d’anatomie et la création de chimères savamment disséquées. Visuel résolument hermétique, on semble encore perdu quelque part dans l’univers situé de « l’autre côté du miroir » et son monde fantasmé. Intriguant, c’est certain. Je me souviens d’ailleurs qu’à l’époque le groupe était en sévère perte de vitesse côté communication et j’avais surpris cette étrange pochette au sein d’un bac sans même savoir qu’une sortie était prévue. J’avais tourné et retourné l’objet dans tous les sens, me demandant de quoi diable il pouvait bien s’agir, pensant presque avoir trouvé un bootleg. A noter que pour une fois la blancheur domine, à tel point que la clarté en est presque aveuglante.

korn_iii_remember_who_you_are_294131-1Retour aux sources avec III, ultérieurement sous-titré Remember Who You Are. Le chiffre III, imprimé en lettres rouges bien voyantes, est là pour indiquer la troisième collaboration avec le légendaire producteur Ross Robinson. La photographie est signée Joseph Cultice et possède la particularité de prendre tout son sens un fois le livret déplié, la partie gauche du cliché, invisible jusqu’alors, montrant avec une froideur diabolique l’issue de la scène montrée en cover : la jeune fille observée par l’homme situé au premier plan ne se trouve plus sur le bord de la route, mais à l’arrière du véhicule. Simple stop ou sordide marché, peu importe, car personne ne doute un seul instant des intentions du conducteur. En arrière plan, on peut voir les pompes à pétrole d’Oildale, vallée de Californie riche (du fait de ce qu’elle produit) en même temps que désolée, décor bien connu par le chanteur, s’agissant de sa terre d’origine (proche de Bakersfield).

korn-4e833ededdc99Changement radical de décor avec The Path Of Totality, album du renouveau (encore, diront certains) avec l’énorme virage dubstep/drum and bass adopté qui en déroutera plus d’un et laissera l’idée qu’il s’agit avant tout d’un album solo de Jonathan Davis (également DJ sous le nom de J Devil) plus que d’un véritable album de Korn (les autres musiciens sont, par la définition même du genre adopté, presque hors sujet et donc réduits à la portion congrue). Le

visuel est signé Roboto et illustre le concept découlant du titre de l’album. Celui-ci évoque en effet l’angle parfait sous lequel on peut admirer une éclipse de soleil, moment rare qui tient à un cumul de conditions idéales : la rareté du phénomène observable, le fait de se situer au bon endroit et à l’instant voulu. Le logo se trouve ainsi dans l’alignement parfait entre le soleil et la personne tenant l’album entre ses mains. On peut le voir aussi comme une paire de lunettes nécessaire pour profiter au mieux du phénomène. Artwork à part dans la carrière du groupe, ayant plus sa place au rayon électro du disquaire, mais parfait reflet de ce que voulait Davis lors de cette sortie.

img-1375190656-d918ab13781719b102f7e0ae2607d8deThe Paradigm Shift remet les pendules à l’heure en 2013 lors de sa sortie. Retour au nu-metal, même si les ambiances électro amenées par le précédent opus font désormais partie intégrante du son du groupe de Bakersfield. Changement de point de vue donc comme le précise le titre de l’album. Tout cela reste du Korn, mais digéré par l’espèce de creuset dessiné par l’espace laissé entre les deux visages se faisant face, dont l’un n’est autre que le reflet de l’autre (mais lequel ?). Comme pour le précédent opus, l’oeuvre est due à l’imaginaire de Roboto, parfaite synthèse de l’obsession du miroir portée tel un fardeau par le groupe depuis ses débuts (l’ombre du premier album n’est-elle pas déjà un reflet de celui qui la porte, l’image réelle et non trompeuse de sa noirceur ?). L’artiste va bien au-delà des formes, en créant de nouvelles avec le traitement des espaces vides et fouillant bien au-delà des apparences avec un travail s’orientant vers la radiographie. Superbe.

61vi9ypdcl-_ss500Et l’on arrive à la fin de cet article avec la venue au monde du petit nouveau (prévue pour le 21 octobre 2016 !), qui une fois de plus annonce un contenu musical s’imposant comme un inévitable retour aux sources. Ron English s’est cette fois chargé de l’artwork, artiste très en vogue maîtrisant toutes les formes de support (rues, musées, films, livres…), imposant une certaine vision du monde, tel un miroir (tiens, tiens…) déformant captant l’essence même du sujet, quitte à forcer sur le trait. Capable de parodier Dali ou Picasso comme les icônes du Pop Art, Ron English nous livre avec cette ultime illustration le monde de Korn tel qu’il le perçoit. L’enfant blafard de See You On The Other Side est de retour, traînant derrière lui la peluche sacrément amochée d’Issues (elle devient incarnée, son ventre ouvert laissant voir une cage thoracique atrocement humaine), celle-ci se nimbant d’un halo bleuté, probable source de magie (l’élément nécessaire pour traverser le miroir ?). A noter au premier plan un charnier de peluches démembrées. L’enfant semble nous regarder comme pour nous signifier qu’il est bien passé de l’Autre Côté, et pour aussi nous inviter d’un regard empli d’un froid défi. Le monde à la fois merveilleux et inquiétant de manèges en clair-obscur est celui vers lequel il semble vouloir nous entraîner… et nul doute qu’une fois de plus nous allons le suivre, y perdant encore un peu de notre vaine innocence…

Bon, c’est pas tout ça, mais Tonton Herbert va retourner en psychanalyse après tout ça… Et n’hésitez pas à partager ce qui m’aurait échappé !

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