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Note : 08/10
Il y a quelques semaines apparut sur le fil de discussion de Lords of Chaos la phrase « qui veut chroniquer le dernier K-X-P ? » Et sans hésiter j’ai répondu « Moi, moi ! » pensant peut-être l’espace d’un court instant avoir affaire au défunt groupe de new-wave/rock alternatif XTC ou salivant encore à l’idée de manger des wings hot bucket venant de cette enseigne commençant par un K et se terminant par un C… Je ne sais pas… Des idées bizarres parfois vous traversent l’esprit…
Toujours est-il que je me suis retrouvé avec un objet dont je me suis vite demandé comment diable il avait atterri ici ! Oui, parce qu’un groupe sans guitare – à part la basse – et usant et abusant de samples et de programmations, avec une voix atone et froide comme la banquise, ça vous refroidit l’amateur de vestes à patch aux cervicales douloureuses, faisant le signe du cornu comme d’autres disent bonjour en agitant la main.
Il était nécessaire de pratiquer une dissection et j’ai donc ressorti mes vieux outils, sales et non stérilisés ! C’est dans la découpe et les viscères que j’allais trouver la lumière ! Je ne savais pas alors que l’aventure allait me mener aux confins de l’infiniment petit, sous la minceur d’une lamelle de microscope ! Car trois lettres composent le nom du combo, et trois lettres allaient permettre de mieux le comprendre : A. D. N.
K-X-P, c’est à première vue un OMNI, pour Objet Musical Non Identifié, quelque chose qui traverse le ciel et vous laisse plus de questions que de réponses. Et ce n’est pas la page du groupe qui va contribuer à nous aider, puisque les finlandais définissent leur style comme un assemblage de mots pour le moins surprenants et parfois même antinomiques, je cite : « Original – Electronic – Motorhead – Space – Trance – Spiritual – Rock – Meditation – Freejazz« . Ben avec ça…
Originaire d’Helsinki, K-X-P tient son nom des initiales de ses membres : K pour Timo Kaukolampi (leader, chant et programmations), P pour Tuomo Puranen (basse et claviers) et X pour le batteur (ils sont deux à se partager le poste, et nul ne sait jamais lequel va intervenir sur scène… parfois même ce sont les deux !). Il est d’ailleurs à noter que le groupe porta un temps le nom de K-N-P avant que le batteur ne se dédouble par le fruit probable d’une étonnante parthénogenèse. III Part II est la quatrième réalisation de ce groupe né en 2010, et comme son nom l’indique, complète le précédent ouvrage, formant avec lui un ensemble de 13 morceaux, abordant des sujets aussi divers que le meurtre aveugle par le biais de drones assassins, la paranoïa, une vision sombre de la sexualité…
Les phrases alambiquées et mystérieuses du leader décrivant sa musique aident peu à avancer dans l’analyse, voire même brouillent les pistes en nous menant dans de sombres impasses. Je vous laisse vous débrouiller avec la révélation selon laquelle il s’agit d’une « rencontre entre le Bien et le Mal, capturant cet instant où les punk rockeurs commencent à utiliser des machines et des séquenceurs » ou Timo comparant encore son oeuvre avec l’énergie des débuts de Metallica avant qu’ils ne s’endorment sur leurs lauriers – attention, on parle ici de créativité, pas de genre musical ! L’album a été enregistré à Suomelinna, un studio situé sur une île fortifiée en face d’Helsinki, endroit propice à entrer dans un état de créativité particulier inspirant ces mots au compositeur : « se rendre en cet endroit c’est faire un tour sur des eaux grises et sombres, et c’est un parfait moment de plénitude. Quand vous arrivez à l’île vous pouvez exhaler et vous vider de l’esprit des affres de ce monde de fous. C’est l’endroit le plus proche d’Helsinki possédant ce calme où vous pouvez entendre vos propres acouphènes » (bourdonnements d’oreilles non provoqués par une source extérieure, une sorte de mirage auditif).
La structure du brin d’A.D.N de cet album révèle plusieurs hybridations, même si la base reste indéniablement psyché, vaste mot dérivant d’une certaine idée du rock des années 60-70 et rarement susceptible de braver avec succès les foudres d’un contrôle anti-dopage. Le côté electro est également prépondérant, ce qui n’est somme toute que très commun quand on se plonge dans l’univers très vaste du metal. Qu’il est loin ce temps (1986) où la critique et le public hurlaient au sacrilège en entendant des guitares-synthés sur l’album Turbo des Metal Gods de Judas Priest. La batterie, élément rythmique familier du genre qui nous est cher, s’avère aussi très importante chez K-X-P, livrant des rythmes répétés en boucle propres au style motorik, parfois même proches du style indus avec les frappes martiales des morceaux enlevés que sont Freeway et To Believe. Mais l’on va s’éloigner de nos rivages balisés en remarquant des traces du style de John Carpenter, le réalisateur-compositeur, flagrantes sur les premiers et derniers morceaux (Winner et Transuranic Heavy Elements) avec leur ambiance pesante à la The Thing. Ici et là, on va même se prendre à penser à du… Jean-Michel Jarre grande époque (quelques nappes du sublime Siren de Transuranic Heavy Elements) ! Techno, ambient, trance et cold-wave transpirent également de leurs froids échos, glaçant l’opus de leur univers aseptisé, déshumanisé. L’A.D.N. originel du processus hypnotique propre à ces musiques se retrouve pleinement chez K-X-P, entraînant l’auditeur dans un univers futuriste certes éloigné de l’univers du metal mais finalement plus vivant qu’un combo aimant les séquenceurs comme Division Alpha, groupe certes bien plus metal dans sa structure, génial dans son processus de création mais figé dans une logique plus calibrée, moins propre à l’improvisation. C’est ici que le côté free-jazz peut se comprendre, prenant sa pleine dimension sur scène où le groupe finlandais donne un véritable spectacle évolutif, gavé de costumes intrigants et d’échanges vivants avec le public. Le tout se mêle parfois et transcende les genres, comme sur le rythme planant de Sub-Goblin, étrange renaissance de ces expériences musicales des années 60-70 qui donnèrent naissance à de nouveaux courants musicaux (le krautrock), qui eux-mêmes allaient façonner de nouveaux genres (new-age, ambient et post-rock).
Vous l’aurez compris, K-X-P est une expérience à part et risquant fort de froisser les auditeurs goûtant peu le mélange des genres, préférant qu’un style musical donné évolue dans les limites de sa propre définition. A l’analyse, il est évident que les mots limites et évolution ne sont guère faits pour s’entendre et l’on ne peut à mon sens que louer l’attitude de K-X-P ainsi que celle de tous ces groupes frondeurs ayant digéré un vaste et riche héritage musical et lui donnant matière à progresser. Arrivé au terme de cette chronique, je n’ai qu’une seule envie, c’est celle de remettre en boucle des morceaux tels que To Believe et Siren, pourtant écoutés des dizaines de fois et dont le secret tout juste aperçu n’a pas suffi, loin s’en faut, de me lasser !