[Chronique] FOOL’S PARADISE – « Living In A Fantasy »

Bernard-Henri Leviathan
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Il s’en est passé des choses depuis 5 ans. A cette époque, avec son précédent et premier album (« Monopoly Society », chroniqué ici), les Dunkerquois de FOOL’S PARADISE nous dépeignaient une société corrompue, malade et avide de billets frais. Crises sanitaire, environnementale, géopolitique, énergétique… sans aller chercher jusqu’à la théorie du monde plat, on ne peut pas dire que notre Terre ait tourné bien rond depuis ! Déjà ébauché avant le Grand Confinement, le récit de « Living In A Fantasy » tombe à point nommé ! Récit, oui, car il s’agit bien ici d’un concept album. De celui qui raconte une histoire. Celle de Liam, personnage lévitant entre les écrans et nous accompagnant au travers des pages du livret du disque, fuyant notre monde pour se réfugier dans un autre, plus intérieur, plus virtuel, plus sécurisant… peut-être au départ, car qu’en est-il réellement ? Ce personnage, pour celles et ceux qui suivent le groupe, nous l’avions déjà croisé sur le toit de sa sommaire cabane, en proie au monde toujours plus vicieux se dressant devant lui, sur le visuel de « Monopoly Society ». Il y a donc une cohérence imagée, un fil rouge, dans cette suite d’albums, voilà un premier point d’intelligence. Avec ce nouvel album, FOOL’S PARADISE nous propose, à la manière d’une mise en abyme, de passer la porte de la cabane, de passer même la porte introspective de Liam Wright… Et cette porte-là, pas besoin d’y frapper, vous étiez attendus.

Au rang des changements entre-temps, il est à noter que l’équipe à bord a évolué : nouveau bassiste en la personne de l’attachant et solide Corrado Pinna, nouveau chanteur sous les traits vocaux du doué et très actif Freddy Richard, tous deux issus de la formation lilloise spécialisée dans les covers, HEAVYLIZED. Un changement de voix, ce n’est jamais anodin pour un groupe, tant un timbre peut incarner une identité particulière, et le groupe a su mobiliser ses nouveaux atouts. Avec le répertoire très Heavy de Freddy,  la troupe a pris une patte peut-être un peu plus traditionnelle mais une tout autre dimension assurément.

L’œuvre s’ouvre sur « Refugee », une introduction orchestrale aux accents m’évoquant les traits mélancoliques des complaintes de « L’Etrange Noël de M. Jack ». C’est ici l’occasion d’inviter la famille et les amis puisque nous retrouvons au piano et à la clarinette, respectivement les femme et fils de Stéphane Lalan (guitare). Une première narration installe l’histoire. Tout au long de l’album, parfois avant un titre, parfois après ou même au milieu, mais toujours portée par un fond sonore faisant les liens, vous serez guidés par la voix d’Olivier Mevaere (guitare) ou de l’invité anglophone Thomas Hamill (« The Tragedy Of Unfulfilled Hopes »), ou même encore… d’Eisenhower himself (« Follow The Leader ») ! La narration dans un album est toujours un pari. On peut s’interroger sur l’impact, les freins qu’elle pourrait représenter dans l’écoute. Ici, après maintes lectures, elle me semble bien s’intégrer à l’ensemble.

Entre cette introduction et « Delivrance », l’outro emmené par la clarinette basse de Nicolas Callens (un peu de Yann Tiersen dans l’air), neuf compositions dérouleront riffs en sauts de cordes caractéristiques du groupe, passages Heavy classique, nombreuses ruptures et progressions rythmiques, interludes aériens aux arpèges cristallins ou laissant du terrain d’expression à la basse. La musique de FOOL’S PARADISE, écrite par les deux guitaristes, met forcément leur instrument en lumière. On retrouve ainsi la maestria des guitaristes au travers des nombreux soli et harmonisations couvrant le disque, explorant par ailleurs leurs effets Fractal. L’entrée en tapping façon Adrian Smith (IRON MAIDEN) sur « A Place To Hide », la manière plus néoclassique de Michael Romeo (SYMPHONY X) sur « Living On A Fantasy », l’épique solo aux accents folk de « Ode To Idleness » en sont peut-être les meilleurs exemples. A leurs côtés, Frédéric Hembert (batterie) et Corrado semblent s’être bien trouvés pour former une section rythmique bien présente et roulante, gardienne des alternances de tempo.

« Living In A Fantasy », avec l’arrivée de Freddy déjà évoquée, c’est aussi un gros travail sur les voix. Le timbre ample du chanteur permet de belles envolées lyriques, des graves résonnants, des harmonisations recherchées, des chœurs étoffés. Si le naturel parle entre un chant inscrit dans la tradition Heavy Metal (les cris de Metal God sur « Follow The Leader ») ou Speed mélodique, il y a quelques idées naissantes, sorties du registre, à creuser pour la suite des aventures. Ainsi, accompagné d’harmoniques modernes de guitare, Freddy offre une belle rupture Thrash sur « The Tragedy Of Unfulfilled Hopes ». L’entrée tout en fusion sur « Lex Talionis », rappelant cette scène des années 90’s mêlant musique urbaine et Metal, est également particulièrement intéressante.

Dans ce dense contenu, et au titre de mes préférences de ce disque, je citerai avant tout « Ode To Idleness » lancée par un superbe riff progressif sur fond de claviers faisant place à la voix plus grave et menaçante de Freddy, le plus mid-tempo et théâtral « presque-éponyme-qui-se-joue-à-un-mot » « Living On A Fantasy » en dépit de ses quelques longueurs de fin, ou encore l’intense montée finale « A Silent Call », qui démarre à la manière d’une poignante ballade pour finir en Speed intense et prophétique l’espace de 4’30… le timing est parfait !

Le timing est en effet une notion à discuter. Si bien sûr les détours sont l’apanage du Progressif, il m’est avis que quelques idées pourraient parfois aller plus à l’essentiel pour gagner encore en efficacité. Certaines ruptures ou relances au sein des titres n’apportent pas toujours de plus-value, là où de très bons riffs, vite stoppés dans leur dynamique, mériteraient de tourner davantage.

Pour finir, l’album est servi par un son clair et aéré, produit par une équipe suivant le groupe depuis son premier EP (« Forest Of Lies ») et masterisé au réputé Tower Studio. Seul peut-être le traitement de la batterie sur quelques éléments me dérange légèrement. Mais il est question ici de perfectionnisme car « Living In A Fantasy » est un album solide, une fois encore très finement composé, au beau travail d’arrangement et d’interprétation qui mérite une attention particulière. Pour celles et ceux qui sont passés à côté de la préparation de cette œuvre via le financement participatif, sachez qu’il existe quelque part dans les tiroirs du groupe, des versions orchestrales inspirées des thèmes forts du disque qui permettent d’en prolonger l’écoute d’une manière alternative. Un collector bien sympathique ! Sinon, du côté des actualités toutes fraîches, le groupe vient de sortir un clip pour la chanson « Follow The Leader », que vous trouverez facilement sur YouTube ou les pages du groupe.

« Plus le monde va mal, plus les artistes en tirent inspiration. » Ainsi introduisais-je le classement de mes albums favoris de 2022, classement dans lequel cet album trouvait place. Espérons qu’un jour, le groupe n’ait plus à s’inspirer de ce monde fracturé pour sortir ses albums de qualité. Ainsi aura alors été entendu le message que Liam souhaitait nous délivrer.

 

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