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En ces temps sombres où s’étend le diktat des majors et celui, plus impitoyable encore, d’un public cliquant la musique plus qu’il ne la savoure, le monde de l’underground a plus de vivacité que jamais. Il se bat, sans foi ni loi, capable de toutes les audaces sans jamais craindre le fouet des plus forts ni la morsure de l’acier.
Les rouennais de Drenaï ont ainsi vu le jour en 2011 et construit une petite tribu, un clan, qui compte, depuis 2013, date de sortie de sa première démo, A Rising Thunder, sept personnes. Sept, chiffre magique. L’univers des normands s’est forgé autour de celui d’un géant, géant dans la vie, géant de l’écriture aussi, j’ai nommé David Gemmell. Passé maître des histoires d’heroïc-fantasy, l’écrivain a su imposer des noms comme Druss, Waylander, héros évoluant dans l’ombre de l’empire Drenaï. Pour ceux qui connaissent l’univers et les romans, cela éclaire tout d’un coup le nom du premier album du groupe, Deathwalker, surnom de Druss donné par ses ennemis tant ceux-ci le craignent et le respectent, Marche-Mort ! Et ces ennemis, ce ne sont autres que les Nadirs, donnant le nom à ce nouvel effort, un EP composé de cinq titres s’écoutant d’un bloc, cinq titres narrant la naissance spirituelle et guerrière de Nosta Khan, le chaman de la tribu des Têtes de Loups, qui engendrera Ulric, l’Unificateur, celui qui mènera une armée de 500 000 guerriers aux portes de la mythique forteresse de Dros Delnoch.
Après avoir narré les aventures guerrières de Druss au cours des deux précédents efforts, poussé des hurlements bestiaux sur fond de guitares saturées au rythme où Snaga tranchait des têtes, Drenaï abandonne ici son folk metal épique pour aborder l’univers simple et complexe à la fois des Nadirs. Plus de saturation ici, place à un produit purement folk, digne d’une étude ethnologique de cette race imaginaire. Enfin, imaginaire, pas tant que ça… Les fans de Gemmell savent que les Nadirs lui ont été inspirés par les tribus de la Horde d’Or, ces nuées mongoles unies sous la poigne de fer de Gengis Khan, direct inspirateur d’Ulric et de l’épilogue de Légende, le premier livre de la saga.
Et c’est ici que le talent et l’insolence des rouennais prend toute sa dimension. Quel culot que de proposer une musique à des lieues des charges féroces d’Ensiferum ou Turisas. Et tant qu’à faire que de bousculer les habitudes, si l’on enlevait le chant traditionnel ! Puisque nous est conté l’avènement de Nosta Khan, le groupe a adopté la perspective Conan le Barbare, le film. Vous vous souvenez : « Between the times when the oceans drank Atlantis, and the rise of the sons of Arius, there was an age, undreamed of…« ? Diego reprend cette recette et devient ici le narrateur des aventures de Nosta, nous décrivant le monde impitoyable dans lequel naît le héros, un univers de steppes, de montagnes et de déserts arides. Un monde de cavaliers, où l’on devient homme à 10 ans, vieillard à 24. Un monde où les clans sont trop occupés à se livrer à la guerre pour développer art et commerce, et toutes les fioritures de la politique. Pour les décrire, le groupe quitte en partie l’ambiance celtique qui nimbait l’univers des « hommes de fer« . Tout commence pourtant par l’écho d’une guitare acoustique, accompagnée d’un violon celtique renforçant la tristesse et la beauté de ce monde qui se tisse, mais très vite arrivent d’autres instruments, plus typiques des contrées asiatiques et moyen-orientales : bouzouki, derbouka, flûtes asiatiques, percussions ethniques (bravo aux nombreux guests !). Le chant aussi arrive : des choeurs arabisants, un chant diphonique. Sacrément riche ! Et fichtrement bien construit ! L’intelligence de la musique est de construire des images, renforçant le texte qu’il faut absolument suivre (la narration est de plus facile à suivre pour qui maîtrise un brin l’anglais) : l’orphelin sans nom traverse les contrées désolées, sous un soleil de plomb, sous l’oeil astral de ce chaman portant le poids de trois vies d’homme, cherchant son successeur et celui qui foulera de ses pas le chemin menant au nouvel âge d’or. Quand le vieillard entre en transe, on devine sur le sol posés les osselets, les fétiches pendus au plafond de la hutte, la fumée de l’encens montant en épaisses volutes. Le second titre, Shaman, fort de ses 10 mn, est consacré à cette quête, et l’épisode de la transe est extrêmement dépouillé, laissant la voix de ce vieillard nous envoûter, nous mener avec lui dans sa quête. Alors oui, cela risque bien de dérouter les amateurs de wall of death, qui vont se demander ce qu’ils pourront bien faire une fois devant la scène. Pourquoi s’asseoir religieusement et écouter ? Car oui, la musique de Drenaï s’écoute, avec passion, naïveté aussi, comme un enfant écoutant les histoires narrées par un ancien (ou par son père, ça marche aussi !). Le morceau suivant, Forged in Clay, nous montre le jeune homme s’éveiller, dans l’ombre d’une caverne, captif de l’esprit du chaman mais libre de ses actes, et il est le seul dont les yeux brillent de force et d’ardeur. Le successeur est trouvé, il est digne de prendre un nom, et cela ne se peut que par la mort du vieillard, car dans le monde des Nadirs, un enfant ne prend nom que par la mort qu’il a prise. Nosta sera ce nom.
La musique de Nadirs s’avère d’une infinie riche, sous ses modestes oripeaux (modeste en décibels). Elle dépasse le thème du folk pour devenir voyage initiatique. J’ai parfois pensé à Lumsk, notamment au fabuleux Åsmund Frægdegjevar, à cette façon si particulière de s’approprier un univers mythique, celui des trolls en l’occurrence pour les norvégiens.
Avec Beyond the Gates et son ambiance guerrière, on se voit monter sur les chevaux, tels de fiers dotrakis (eux aussi descendants des tribus mongoles) et parcourir de vastes plaines. Avec Tools of a Prophet et ses choeurs si entraînants, on voyage au sein d’un monde à part, reconnaissant ici ou là de bien curieux mélanges, des violons celtiques ainsi que des guitares et percussions gypsies. Le propos de Nadirs est véritablement à part, et sert totalement l’exploration d’un monde immensément riche. Il est d’ailleurs à noter que cet EP n’est qu’un jalon dans la carrière du groupe, qui annonce par ses chants et sa narration le futur album actuellement en préparation. Nul doute que le grand Ulric ne va pas tarder à faire parler de lui ! Les tribus reconnaissent en Nosta celui qui va les mener, les unir afin de leur offrir un futur empli de gloire, et le chemin vers Dros Delnoch qui s’ouvre pour les hordes ! J’ai déjà – et fort modestement -des idées de titres à proposer pour l’album à venir : Eldibar, Musif, Kania, Sumitos, Valteri et Geddon, du nom des six murs que l’ennemi devra prendre avant de s’emparer de la forteresse ! Et la force de Drenaï est bien là, celle de nous faire rêver et penser à autre chose que le triste quotidien qui nous entoure ! Le folk français est encore timide comparé à celui des nations qui nous entourent, mais il a de beaux jours devant lui, c’est certain ! Bravo les gars !