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Inutile désormais de présenter Carach Angren, devenu en quatre albums et ce depuis le remarquable Lammendam, sorti en 2008, un incontournable de la scène black metal symphonique, orienté vers les histoires d’horreur, faisant qu’il est plus juste à propos des hollandais de parler d’horror metal. Et de fait, si l’on se concentre sur les thématiques des albums et leur approche théâtrale, les concepts abordés, il est plus juste de rapprocher le trio extrême de King Diamond, grand narrateur de contes macabres devant l’éternel.
Après This Is No Fairytale, horrible immersion dans le quotidien du plus terrifiant des monstres, l’homme (femmes battues, drogués, hommes violents, psychopathes, enfanticides…), retour vers quelque chose de plus traditionnel, un concept autour d’une tablette Oui-ja et d’une mystérieuse boîte noire. Le domaine des hantises représentant le fond de commerce des bataves, il est fort à parier que ce retour en arrière ne pourra que satisfaire les fans tout en promettant sur scène des shows exceptionnels.
C’est ainsi qu’arrive en ce mois de juin 2017 Dance and Laugh Amongst the Rotten, joliment illustré par le désormais incontournable Costin Chioreanu, accessoirement chanteur et guitariste de Bloodway. J’ai donc revêtu ma blouse de légiste fou, chaussé mes lunettes protégeant des yeux usés de s’être égarés trop longtemps sur des pages de livres impies et suis parti mener l’enquête. Cinquième album et l’on ne peut que noter un fait tout d’abord remarquable : les noms de Seregor (chant, guitare), Ardek (claviers) et Namtar (batterie) trônent toujours en tête des neuf compositions me promettant des heures d’écoute. Là où d’autres se déchirent et se quittent, l’ego de l’un bouffant celui des autres, force est de constater que « Les Mâchoires d’Acier » (en langage du Mordor) forment une sorte d’indéfectible Trinité.
Carach Angren, c’est un véritable condensé de tout ce qui s’apparente à l’horreur, chaque trouvaille ayant sa place dans l’édifice peuplé de racines dévorantes et de spectres hurlants. Découvrir un nouvel album des hollandais, c’est comme entrer dans un manoir hanté, installé dans un sinistre wagonnet, un peu trop bien sanglé, alors que le véhicule se lance à vive allure et traverse des pièces au macabre décorum. J’ai ainsi trouvé dans le nouvel opus de tout nouveaux ustensiles, de plus anciens aussi. Il y a bien sûr ces mélodies dignes d’un film d’épouvante, proches des compositions de Danny Elfman (c’est fou comme cet homme aura inspiré le monde du metal, soufflant des idées à des groupes aussi divers que Nightwish, Sonata Arctica et… Carach Angren), violons ensorcelés (à souligner la performance de l’invité Nikos Mavridis, ami de longue date), touches de piano enfoncées par des doigts invisibles (un peu trop présentes sur l’intro à mon goût). Des trucs bizarres surviennent au détour d’un changement de pièce, comme ces étranges lamentations ressemblant à des cris de baleines (Charlie), des miroirs qui se brisent, promettant des années de malheur (Blood Queen) et des violons se caressant comme on aiguise des lames de couteaux (Pitch Black Box). On retrouve l’incroyable capacité qu’à Seregor à vivre son chant comme le possédé qu’il est probablement, même si l’on commence à s’habituer et qu’il devient difficile de surprendre en la matière tant les hollandais ont déjà beaucoup expérimenté en ces noirs territoires. Il faut l’entendre cependant narrer la triste aventure de Charles Francis Coghlan, nous enivrant avec l’histoire de cet acteur foudroyé sur scène par la mort en personne, torturé par les tempêtes marines lors de son ultime voyage vers la lointaine Amérique, son cercueil ne touchant terre qu’après 7 ans de tourments, s’échouant sur les plages du… Canada. La tragédie s’enfle au rythme du chant maudit, comme bercée par le roulis des océans, et explose pour nous entraîner en une valse morbide et magnifique. Le talent de Seregor s’appuie sur la magie – noire à n’en pas douter – des compositions alambiquées, mêlant distorsions et symphonies, rythmiques enragées et douceurs à la mélancolie baroque ou gothique. Sublime ! Et il devient menaçant, plus sombre que la Mort, quand il se prend à haleter comme un damné sur Blood Queen, promesse de sinistre destin.
Chaque morceau est une histoire macabre, déclenchée par l’imprudente Charlie, jeune femme ayant interrogé trop longtemps une tablette Oui-ja, libérant sans le vouloir des forces démoniaques ivres de destruction. Les spectres sont joueurs, valsant à l’infini, indifférents à l’homme, sur le très Elfmanien Song For The Dead, titre qui aurait pu trouver sa place sur la BO de L’Étrange Noël de Monsieur Jack. On retrouve à nouveau la syncope des guitares, le tranchant acéré de leurs riffs, ainsi que des vocaux plus rageurs sur In De Naam Van De Duivel, reprenant un temps la mélodie de Charles Francis Coghlan (superbe violon !), même si le tout se calme en fin de morceau, la violence du chant survivant seule à l’incroyable beauté symphonique du morceau, juste avant qu’un ultime sursaut des guitares ne revienne à la charge et emporte le tout dans le secret de la nouvelle pièce à traverser. Et ça riffe sévère sur Pitch Black Box, morceau commençant d’une efficace façon, diablement renforcée par la production en béton armé de Peter Tägtgren, mais c’est hélas dans la boue noire des marais que s’englue vite le titre, ne sachant ensuite quelle direction emprunter, le mal enfermé dans la boîte noire maudite étant peut-être trop puissant pour être ne serait-ce qu’imaginé. Sacré sursaut cependant avec le maléfique The Possession Process, violent titre peuplé de sons étranges venus d’ailleurs, notes d’un claviers décidément toujours inspiré, donnant juste ce qu’il faut de féerie aérienne pour donner une consistance à la rage des guitares et de la batterie (quelle maîtrise des blasts et des frappes complexes !), consistance manquant à nombre de groupes nageant dans les mêmes eaux et menant ces derniers à se noyer. L’histoire se clôt avec le titre somme qu’est Three Times Thunder Strikes, condensé de cette maîtrise des hollandais leur arrogeant le pouvoir de mêler naturellement la rage primale du black occulte avec la puissance évocatrice des phases orchestrales.
Il manque cependant à cet opus un petit quelque chose qu’avait pour moi le dernier album, mon préféré de leur discographie déjà riche (et sans faute, oserai-je dire). Des titres comme When Crows Tick On Windows ou There’s No Place Like Home, avec leur insondable violence et leur puissance théâtrale (ce que je préfère chez les hollandais), possédaient plus de poids et se détachaient nettement du lot. Mais ceci n’est qu’histoire de goût et encore une fois des compositions sauront ici crever le cœur de l’auditeur, comme le séduisant Charles Francis Coghlan ou l’ultime Three Times Thunder Strikes et sa cruelle chute narrative. Les hollandais, même s’ils ne livrent pas ici la pièce majeure de leur carrière, sortent avec Dance and Laugh Amongts the Rotten un album fort consistant qui sans problèmes se hissera parmi les sorties majeures de l’Art Noir en cette année 2017.