[Chronique] ANDRE MATOS… 1 an après, la chronique hommage à une voix d’exception!

Bernard-Henri Leviathan

8 juin 2019, je partage la scène avec mon ami Freddy, tous deux passionnés du Brésilien à la voix d’or. Cela ne se voit pas du public j’imagine, mais nous avons le cœur hagard. C’est annoncé. Mon maître n’est plus. Andre Matos est mort.

 

Je situe très nettement ma « rencontre » avec Andre en octobre 1996. Je suis à l’aube de mes 15 ans et je me procure, avec les quelques pièces qui forment le fond de ma poche (à savoir 15 francs !) le Metallian numéro 5 – magazine spécialisé alors encore tout jeune. A ce moment-là, on entrait dans l’ère des CDs « samplers », ce qui était un grand avantage pour les gens qui, comme moi, n’avaient pas un rond pour acheter des disques ! Ce numéro de Metallian proposait donc le second volume de la compilation « Metal Explosion ». A l’origine, périodique essentiellement tourné vers la scène extrême, une ouverture au Heavy/progressif commençait à poindre. Ici, au milieu de TRISTITIA, YOUR SHAPELESS BEAUTY, KAMPFAR, EMPYRIUM, se plaçaient habillement ELDRITCH et… ANGRA. En octobre 1996, « Nothing To Say » venait de caresser mon âme et Andre d’y graver à jamais son nom, par la puissance émotionnelle de sa voix.

 

 

A ma grande infortune, alors que j’étais seulement sur le point de placer ce groupe et ce chanteur au sommet de mes préférences, je manquais leur passage sur Lille, le 12 novembre 1996, à l’occasion du Holy World Tour (tournée qu’immortalisera le mini « Holy Live » (1997), voyant avec attachement Andre s’adresser en français au public parisien !). J’étais d’autant plus frustré qu’un copain du lycée s’y était rendu, celui-ci même qui me copia ensuite l’album « Holy Land » sur une K7 blanche pré-enregistrée que je subtilisai à mes parents. La méthode était simple, il s’agissait d’appliquer un morceau de ruban adhésif pour obstruer deux petites encoches sur la tranche de l’objet et ainsi pouvoir réenregistrer par-dessus. Chers parents, pardon si vous avez cherché inlassablement votre K7 de New-Age (qui, soit dit en passant, n’était pas terrible) mais sachez qu’une fois maquillée, elle m’a procuré des centaines d’heures de bonheur jusqu’à épuisement de la bande magnétique !

 

 

A partir de ce moment, outre le fait d’avoir rattrapé le temps perdu en acquérant les très bons albums de VIPER (premier groupe d’Andre, qu’il rejoignit à 13 ans, recruté alors – histoire incongrue – pour sa ressemblance avec Bruce Dickinson) qui venaient d’être réédités ; et l’extraordinaire « Angels Cry » (1994, premier chef d’œuvre d’ANGRA dont le point de vibration restera toujours à mes yeux le somptueux « Stand Away »), je n’allais plus manquer une seule œuvre, ni une seule étape de la carrière du maestro. Mais 24 ans plus tard, s’il ne devait y en avoir qu’un seul à chérir avec toujours autant de passion, ce serait « Holy Land », dans sa belle Holy Box numérotée 3822 sur 5000, trônant sur mon étagère. Comment rester insensible à cette œuvre magistrale, unique, mêlant avec originalité et facilité déconcertante les superpositions harmonisées de QUEEN, le speed metal mélodique d’HELLOWEEN, l’intense émotion d’une partition de SCHUBERT et, bien entendu, tout l’héritage ancestral du Brésil ?

 

 

ANGRA avait son aura en France et Andre aimait notre pays. A cette époque, il y avait une émission qui, même si elle n’en était plus à ses heures mythiques, celles des Didier L’embrouille et autre Ouin-Ouin, n’en restait pas moins référentielle pour nos petits écrans. Calée entre 18h30 et 20h30, calée donc entre les devoirs et le repas en famille, il fallait user de certaines ruses pour se faire oublier devant la télévision. Quand ça ne voulait pas, il nous restait heureusement la solution Magnétoscope… enfin, solution… encore fallait-il avoir sous la main une cassette disponible et rembobinée ! Le 12 janvier 1999, pour la promotion de son nouvel album « Fireworks », ANGRA vient donc interpréter « Mystery Machine » sur le plateau de « Nulle Part Ailleurs » sur Canal +. Heureusement pour moi, ce soir-là, le repas a un peu de retard…

 

 

Comme pour nombre de fans, la rupture d’ANGRA à son apogée, en 2000, m’a été des plus saumâtres. Rafael Bittencourt et Kiko Loureiro (guitares) conservaient le nom, tandis qu’Andre, Luis Mariutti (basse) et Ricardo Confessori (batterie) projetaient déjà une suite sous le nom de SHA(A)MAN (je prends ici le parti de cette orthographe qui synthétise les appellations SHAMAN et SHAAMAN). Avant cela, Andre s’accorde une respiration à travers des projets restés à l’état de démo (EP de LOOKING GLASS SELF (2000)), semant des expérimentations poétiques et feutrées avec VIRGO (2001). Je me revois encore répondre au disquaire balaise comme un hacheur de morts : « Je prends celui-là… pour ma femme ». « Ma femme »… c’était moi n’assumant pas le non-achat du dernier CANNIBAL CORPSE devant lui! C’est dans cet entre-deux qu’Andre prête main forte à son ami Tobias Sammet (EDGUY) dans les balbutiements du géant en devenir AVANTASIA (2001, 2002 puis plus tard en 2010 et 2011) ou offre encore ses services çà et là pour quelques featurings.

 

 

Si l’on ne lui compte que deux disques et un live, SHA(A)MAN restera un autre projet d’ampleur dans la carrière d’Andre Matos. La direction du groupe sur « Ritual » (2002), empruntant à l’inégalable « Holy Land », remporte un franc succès que ne connaitra pas autant « Reason » (2005), son plus sobre et sombre successeur. Et pourtant, si l’on rapproche davantage Andre de la chaleur ardente et tribale de l’Amérique latine, il y défrichait ici un terrain ombrageux inventif qui lui seyait également. Cet échec entraîne une nouvelle rupture.

 

 

Andre a le goût de la liberté, il choisit donc la formule solo et sort le très bon « Time To Be Free » (2007, en profitant notamment pour revisiter une chanson de sa prime jeunesse « Moonlight » (parue sur le « Theatre Of Fate » (1989) de VIPER) et rebaptisée pour l’occasion « A New Moonlight ») puis un second, moins immédiat, moins peaufiné mais à l’empreinte reconnaissable (« Mentalize » (2010)). Bien que son écriture soit toujours digne d’intérêt, c’est une époque plus difficile pour Andre qui peine à retrouver les lumières jadis atteintes, les hauteurs aussi, et sa voix commence à porter le poids et le voile d’une fatigue. Contacté par Timo Tolkki (ex-STRATOVARIUS) en 2011, Andre s’essaie à nouveau au format groupe. Bien que « In Paradisum » soit un disque renfermant de bonnes mélodies, les retombées sont mitigées. Le groupe a un public acquis mais en reste là. Andre nous laisse un dernier témoignage studio en solo (« The Turn Of The Lights » (2013), album touchant et résonnant comme une retraite à regret que je ressors régulièrement avec grand plaisir), avant de se retirer dans son pays natal, et de proposer des concerts à thème (comprenant des retrouvailles avec VIPER) et master-classes.

 

 

Je n’aurai pas l’album de piano-voix que j’espérais secrètement, que je lui avais un jour suggéré par message. Je ne suivrai plus son actualité de l’autre côté de l’Atlantique. Quelques jours après avoir retrouvé ses amis d’AVANTASIA sur scène, prévoyant le grand retour de  SHA(A)MAN, Andre s’éteint chez lui, le 08 juin 2019, d’un arrêt cardiaque à l’âge de 47 ans.

Voilà maintenant un an. Voici l’hommage que je peinais à lui laisser depuis.

 

 

Même si je n’ai vu Andre que deux fois sur scène, l’une le 30 mai 1999 à Lille, lors du Fireworks Tour (où, très accessible et chaleureux, je le trouvai backstage pour partager un court moment où il était question d’une bouteille de Bordeaux), l’autre le 31 mars 2001 pour la première représentation française de SHA(A)MAN, à l’occasion du Festival NTS de Colombes, il me semblait proche. Il y a des gens qui font si bien leur travail d’artiste qu’ils nous apparaissent intimes, partageant notre quotidien. Andre était de ceux-là et le vide qu’il laisse est grand. Jamais jusqu’à lors et de nos jours encore, un timbre, une amplitude aux aigus inatteignables, une sensibilité vocale ne m’avaient tant touché, sachant aisément me tirer des larmes. Lui qui m’a donné l’envie, lui qui reste mon cap, Andre Matos était un génie moderne, au charisme fou, à l’humilité exemplaire. Comme Freddy Mercury en son temps, avec Andre s’est éteinte l’une des plus grandes voix de l’histoire de la musique.

 

 

Attendons le documentaire et la biographie prévus pour ces prochains mois (en espérant des traductions anglaises), ceux-ci compléteront la poignée de disques qu’il nous a léguée. Une belle collection pour continuer inlassablement à faire vivre la légende…

 

 

 

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