[Chronique] PAGAN ALTAR – The Room Of Shadows

Herbert Al West - Réanimateur Recalé
Ah oui, et comme vous l'avez remarqué, j'adore écrire long...
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Doom… doom… doom…
La légende est comme un pas de géant, comme un souffle sur la lande anglaise. Un murmure entre les pierres dressées de Stonehenge. Un hurlement de banshee au sein des tourbières. Le rire du Petit Peuple dans l’ombre des forêts. Ce pourrait également être l’histoire de Pagan Altar… Pagan Altar, qui a gagné son statut de légende aussi difficilement que nombre de revenants hantant les châteaux de bien des lords anglais,… avec le temps. Cela était pourtant dit aux premiers balbutiements du groupe en 1978, dans les faubourgs de Brockley, au sud de Londres, alors même que des fées taquines avaient lancé les mots magiques en même temps que maudits sur le berceau du groupe. Cela se voulut du fait de l’unique enregistrement – culte forcément, édité confidentiellement sous format cassette, en 1982 -, du seul album auto-produit par le groupe avant sa séparation en 1985, face à l’indifférence générale entourant le doom tel que le pratiquait le groupe. Cela s’écrivit en 1998 lorsque le label Oracle Records réédita enfin l’album sous format argenté. Cela se décida lors de la reformation du groupe et l’enregistrement de trois albums (beaucoup de chutes d’anciens titres des années 80) entre 2004 et 2006, devenus aujourd’hui cultes au sein de la scène underground : Lords of Hypocrisy, Judgment of the Dead et Mythical & Magical. Puis cela fut gravé tristement dans le marbre, lorsque Terry Jones, chanteur mythique du groupe, passa de vie à trépas en 2015, à l’issue d’un long combat contre la maladie. Et pour à jamais entrer dans la légende, il fallait nécessairement un testament, un leg faisant le lien entre le passé et l’éternité. Cette oeuvre posthume nous a été fournie en ce mois d’août 2017, portant le nom lourd de sens de The Room of Shadows.
Il s’agit en fait d’un album enregistré pour grande partie en 2014, et portant en ce temps-là le nom de Never Quiet Dead, nom impossible à conserver sans faire preuve d’une cruelle ironie après le décès du leader, d’autant plus que le guitariste du groupe depuis ses débuts n’est autre qu’Alan Jones, le propre fils de Terry. L’album aurait alors en théorie pu sortir depuis longtemps, mais le fils prodigue n’était pas satisfait des résultats de la section rythmique, et peaufina longuement son ouvrage, patiemment, marquant en cela le deuil de son père, soucieux de lui rendre un ultime hommage digne de l’héritage qu’il avait laissé.
Pour la petite histoire – ou la grande oserai-je dire -, Pagan Altar n’est pas un groupe de doom comme les autres. Il était là en fait avant que le mouvement ne naisse vraiment, se nourrissant plus des sonorités des années 70 que de la facette heavy dans laquelle des légions de groupes étaient en train de s’engouffrer, préférant suivre la voix plus lourde et sombre qu’avait ouverte Black Sabbath. Pour définir Pagan Altar, il serait plus juste de parler de proto-metal, mouvement se voulant la synthèse de plusieurs styles, et qui allait définir le genre. La famille Jones va donc nous livrer, sans la moindre concession, sa propre définition du doom, et n’en démordra pas jusqu’à cette ultime livraison. C’est cela l’underground, le refus de tout compromis, bien au delà du manque évident de moyens, d’exposition. La volonté de composer selon sa philosophie, ses envies, sans se soucier de ce que réclame le public.
La musique de Pagan Altar, c’est avant tout un décorum, un univers occulte dans lequel s’épanouissent des objets et lieux communs propres au genre gothique dont le cinéma britannique fut le pionnier durant les années 60 et 70 (la célèbre firme Hammer, mais aussi sa rivale moins connue, Amicus, et leur cortège de vampires et de messes noires, de démons et de fous sanguinaires). Point de Pagan Altar, donc, sans cierges, robes de bure, croix inversées. Côté musique, c’est un mélange unique de folk, de rock seventies et de ces rythmiques plus lourdes qui naissaient dans les années 80, car oui, du seul fait de ses lieu et date de naissance, le groupe est logiquement rattaché à la NWOBHM. Il est enfin indispensable, afin de définir au mieux le groupe, de ne pas oublier la voix de Terry Jones, délicieusement nasillarde, et faisant penser au Mark Shelton du Manilla Road des débuts.
Pagan Altar ne va pas s’écarter du sombre et beau chemin qu’il a tracé jusqu’ici avec ce qui représente son ultime témoignage, sa dernière offrande aux dieux païens, en un mot, son grand oeuvre, deux mots parfaitement à leur place en cette chronique tant leur sens alchimique, évoquant la transmutation de métaux communs en ce métal si précieux qu’est l’or, ou encore la recherche aboutie de l’immortalité, prend tout son sens ici. The Room of Shadows est l’aboutissement d’une vie, la synthèse parfaite d’une façon unique d’appréhender le 4ème art, la musique. Et cela n’a rien de prétentieux de dire cela, car chaque artiste a finalement, si l’on y réfléchit bien, une façon unique d’aborder son sujet, y mettant plus ou moins de sa personnalité. Et de personnalité, Pagan Altar n’en manque pas. Alors on pense peut-être à Kansas en écoutant Danse Macabre, sorte de version doom du formidable Carry On Wayward Son, le riff principal s’en rapprochant, avec son côté folk parfaitement imbriqué dans la rythmique rock. Impossible aussi de ne pas songer à Jethro Tull en écoutant le titre éponyme, avec ses percussions douces, évoquant un passé lointain, éloigné du credo christique ; avec la montée patiente de la guitare acoustique, délicieusement enivrante, comme un alcool léger faisant peu à peu son effet ; avec l’éclat de la guitare électrique partant en une succession de soli totalement pénétrés, véritables transes mystiques impossibles à contrôler, donnant envie d’y revenir sans cesse. Comme références, il y a pire me direz-vous, mais il y a à chaque fois cette touche particulière : la voix du père, la guitare du fils. Pagan Altar, c’est une histoire de famille, invoquant un être symbiotique à nul autre pareil. C’est aussi une histoire d’amitié, avec l’arrivée des anciens comparses rythmiques que sont le batteur Andy Green et le bassiste Diccon Harper. Ces deux-là feront ici un boulot remarquable, le premier amorçant les nombreux breaks découpant les plus de huit minutes du premier morceau, le terrible Rising of the Dead, le second faisant vrombir ses cordes de si belle façon sur The Ripper ou The Portrait of Dorian Gray (quel plaisir de la suivre cette basse tout au long de ce dernier morceau, et l’on se prend même vite à vouloir occulter le reste, pourtant parfait !). Hormis ce titre enjoué et Danse Macabre, la plupart des titres de l’album révèlent toute leur saveur dans le mid-tempo, et malgré des titres longs (Rising of the Dead, The Ripper et ses plus de dix minutes), jamais l’ennui ne s’installe, un break venant régulièrement renouveler l’intérêt du morceau, qu’il soit du fait du père (superbe transition sur Rising of the Dead) ou de celui du fils, avec les touches de rock progressif que la guitare amène imperceptiblement, se montrant inventive, jusqu’à offrir une approche étonnante et nouvelle autour du thème pourtant rabattu du célèbre Jack l’Éventreur, les riffs construisant en dehors des poncifs angoissants un schéma fascinant, épique, doucement oppressant grâce à la voix du père.
Les textes sont importants aussi, soulignés par la voix sensible de Terry, peuplés de cimetières, de fantômes erratiques, de cloches tintant dans la brume, de nouvelles et sinistres incarnations du Ripper.
Oh, il y aurait tant à dire, à disserter, sur cet album, mais je préfère m’arrêter là car les mots de votre serviteur seraient bien vains pour décrire tant de beauté, tant de magie. Car oui, il s’agit bien de magie, et le plus bel artifice de cet art est de ne pas s’expliquer, de garder son mystère. Le magnum opus – oh oui, j’ose ! -, de Pagan Altar se termine d’une étrange et belle façon, sorte de funèbre vision du futur qui se dessinait en 2014. En une minute et demi, sur le tristement évocateur After Forever, père et fils vont se livrer à un vibrant duo, dépourvu d’artifice, de rythmique. Juste la voix du père, vibrante, presque déjà partie vers l’Ailleurs, accompagnée par les cordes acoustiques de son fils, le tout s’achevant sur un final éthéré s’évanouissant dans la brume, et que l’on sait maintenant être le dernier testament vocal du chanteur. Bel épitaphe.
Assurément pour moi l’une des sorties majeures de cette année 2017, et nul doute que The Room of Shadows se retrouvera en bonne place dans mon top 10, voire même 5 !
Bye bye Terry. Rest In Peace.
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