[Chronique] KHAZADDUM – Plagues Upon Arda (2017)

Herbert Al West - Réanimateur Recalé
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Rendons grâce en ce jour à Sir J.R.R. Tolkien. Vous savez, le bonhomme qui a écrit et vendu par millions le Silmarillion et surtout Le Seigneur des Anneaux. Oui, car sans lui, comment se nommeraient nombre des groupes que nous adorons, de préférence avec le son monté à fond ?

Comment s’appelleraient aujourd’hui Cirith Ungol, Amon Amarth, Burzum, Gorgoroth, Cirith Gorgor, Ephel Duath, Isengard, Minas Morgul, Morgul tout court, Balrog, Sauron… ?

Et de quoi parleraient Blind Guardian ou Summoning, combien de leurs meilleurs chansons, albums, n’auraient point vu le jour ? Sans oublier bien sûr Led Zeppelin et leur chanson Ramble On ? Et combien d’autres encore ? Une thèse pourrait probablement être montée sur la thématique de « Tolkien et le monde du metal », et peut-être existe t-elle déjà.

Alors pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Un Zelazny, un Gemmell, un Howard, un Jordan ou encore un Salvatore ? On trouve bien ici ou là trace de ces auteurs de fantasy, c’est vrai, mais Tolkien était là le premier, ou presque, il a travaillé son univers avec une passion sans équivalent, s’inspirant d’ailleurs pour partie du conflit qui montait (la Seconde Guerre Mondiale), lui donnant une cohérence, un souci du détail, dont peu s’embarrassaient alors. Il inventa une histoire dans l’histoire, une mythologie, et même un langage revenu à la mode avec les adaptations fastueuses de Peter Jackson. Et puis Tolkien avait un indéniable don – en linguiste passionné qu’il était – pour inventer des noms marquant l’inconscient, un peu comme s’il avait percé le secret d’un univers caché, issu d’un passé réel, maintenant oublié, nageant dans les eaux troubles de l’atavisme le plus ténébreux.

C’est donc dans le clair obscur des célèbres mines de la Moria que nous invite à voyager Khazaddum, groupe de brutal death originaire de Milwaukee, Wisconsin. Quand on s’y connait un peu en langue des nains, le khuzduln, on comprend mieux puisque la Moria se nomme en ce langage guttural Khazad-dûm, cet énorme complexe tout en colonnes et gouffres vertigineux, bâti par Durin et source inépuisable de mithril, berceau de la richesse des nains. Mais à creuser trop profond, les barbus teigneux réveillèrent un Balrog et la suite, à peu près tout le monde la connait.

Gandalf le Gris dit un jour sur le pont de Durin, s’adressant à la plus terrible de ces affreuses créatures, d’un ton fort sentencieux et présomptueux :  » Vous… ne passerez… pas ! »… Et Khazaddum, le groupe, de lui répondre vertement « Ta gueule ! » et de lui piétiner la tronche en lui enfonçant le bâton de magicien très loin dans le fondement. C’est cela la stratégie des p’tits gars du Milwaukee, le passage en force, sans vaseline ni préliminaires. Et on peut dire que c’est efficace !

Après avoir sorti un EP en 2015, In Dwarven Halls, composé de trois titres rentre dedans et possédant déjà une maîtrise remarquable de la batterie, puissante certes, mais prompte à mesurer ses effets, Khazaddum revient à la charge avec un premier long, Plagues Upon Arda. Arda, c’est le nom antique du monde dans lequel se déroulent les aventures décrites par Tolkien. Et y rajouter des fléaux, ça sent pas bon !

Khazaddum, c’est un peu la charge en accéléré d’une armée d’Uruk-Hai sous les murs de Fort-le-Cor, horde noire franchissant ponts et gravissant échelles, tranchant, gueulant, empalant, souffrant mille blessures avant de s’effondrer, et pendant qu’un monstre tombe, dix autres le piétinent et prennent sa place avec une rage décuplée. On ne fait pas dans la finesse ici et difficile de résister à l’assaut de la formidable puissance de frappe du batteur Pete Kissane, maîtrisant toutes les facettes de son art, ainsi qu’à la voix du hurleur de service, le charismatique Luka Djordjevic, bâti comme un seigneur nain, trapu, ventru, barbu, féroce en diable, certes au timbre monocorde (c’est du brutal death, hein, pas du Rhapsody of truc), mais assurant le boulot. Le bassiste Tony Cannizzaro, p’tit nouveau de la bande, fait ce qu’il peut pour émerger du chaos sonore, et donne du corps à l’ensemble, alourdissant le poids de la charge, et se permet même quelques petites fantaisies bien senties sur les morceaux Masters of the Plains et surtout Oathbreaker’s Curse. Quant au guitariste Alex Rausa, il cisèle ici ou là quelques soli techniques bien sentis, dignes du meilleur du genre, même si parfois hélas il se retrouve bizarrement noyé dans le mix (The Fell Rider’s Scourge ?).

Petite nouveauté par rapport à l’EP, et pas des moindres, l’arrivée des orchestrations, car oui, Khazzadum fait désormais partie du circuit très fermé des groupes de brutal death sympho (Scrambled Defuncts, Offact et bien sûr les excellents Fleshgod Apocalypse, maîtrisant pour ces derniers, et selon votre humble serviteur, leur art à la perfection !). L’album est doté d’une intro de plus de deux minutes digne d’intérêt à plus d’un titre. The Halls of Khazad-Dum plante ainsi le décor en nous plongeant de façon très hollywoodienne dans les mines de la Moria, sur des airs rappelant les thèmes d’Howard Shore illustrant les films de Peter Jackson. Puis débute la frappe martiale, tout d’abord lente, de Pete Kissane, domptant ses percussions comme un maître de chiourme, avant de lâcher ses blasts quand l’assaut commence. Une incontestable réussite, qui m’a personnellement donné envie d’appuyer plus d’une fois sur replay. Réservé bien sûr à ceux qui aiment les intro, mais elle est largement digne, ne serait-ce que pour la maîtrise de la batterie, de n’être pas lâchement zappée. Pour la suite, et si vous êtes attentifs, vous remarquerez ici ou là des traces de chœurs grandioses et des orchestrations qui ont certainement demandé bien des efforts. Alors ma question est la suivante : pourquoi, même avec le casque, sont-ils si difficiles à percevoir ces éléments ? Volonté subliminale ? Mouaif, problème de mix là encore, et il faut bien avouer que le brutal death n’est pas le plus simple à touiller dans la finesse, surtout quand le groupe a l’audace d’y mettre des choses aussi fragiles que des voix d’anges et des violons ! Jetez tout de même une oreille attentive à Lord of Isengard, The Fell Rider’s Scourge, l’excellent Shelob the Great (le plus réussi à ce niveau, hormis l’intro) et Oathbreaker’s Curse, et vous devriez vite avoir comme moi une idée de vos attentes sur la prochaine livraison ! Khazaddum frappe fort avec ce premier album, grâce à la prestation d’un batteur d’exception, une férocité digne du sujet traité (m’étonnerait qu’on soit du côté des nains dans l’histoire) et grâce aussi à ces ambitions peu communes au genre qui pourraient bien en faire à terme un nom à retenir, mais il faudra pour cela s’assurer les services d’un maître-nain derrière les manettes de la production. Pour l’heure, Plagues Upon Arda se suffit à lui-même et contient suffisamment de hargne et de cohérence pour se détacher du lot et suffire à contenter le bourrin de service comme l’oreille un peu plus exigeante.

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