[Chronique] CAÏNAN DAWN – Fohat

Herbert Al West - Réanimateur Recalé
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Le black metal occulte n’a pas l’apanage du cœur ou de l’âme en Norvège ou en Grèce. C’est parfois bien plus proche de nous qu’il sévit, se tapit, brassant dans l’air les maléfices dont il tisse son obscure matière. La Savoie est l’étrange terreau riche de deux groupes enfantés dans l’ombre, un temps d’ailleurs profondément liés l’un à l’autre. J’invoque ici Nehëmah et Caïnan Dawn, deux groupes s’étant partagés les services de Sorghal à la lead guitar, l’influence de ce dernier étant d’ailleurs nettement perceptible dans l’oeuvre du second combo, que beaucoup voyaient dès lors comme un simple « petit frère ».

Mais il faut bien après tout se nourrir d’une ombre plus grande et déjà bien épaisse pour à son tour prendre de la texture, de l’aura. Et de l’âpreté au travail, Caïnan Dawn n’en manque pas. Fort d’une première démo mythique (toutes proportions gardées), In Darkness I Reign (en téléchargement libre sur bandcamp), le groupe fondé par Heruforod (vocaux, toujours en poste) et le bassiste Kobal, explore les terres sombres de l’ésotérisme, rendant hommage à travers chaque opus aux grands noms de cette science parallèle, à la Golden Dawn, Eliphas Levy, John Dee et Edward Kelley, jusqu’à se vautrer dans les sombres pensées de Mme Blavatsky dans les thématiques du nouvel album. Caïnan Dawn a pour lui l’amour des textes longs, des morceaux qui s’étirent indéfiniment, prenant son temps pour marteler son propos. Les deux premiers albums, Nibiru (2011) et Thavmial (2014) étaient longs, dépassant l’heure fatidique au delà de laquelle l’attention vient parfois à manquer et les oreilles à saigner. Vagues féroces mettant en obscurité – pourquoi diable dire « lumière » – un black primal devant beaucoup à l’art norvégien (et à celui de Nehëmah donc), ces deux œuvres avaient cependant trouvé leur public, se faisant au passage remarquer par Osmose lors de la signature de Thavmial. Il était peut-être temps cependant de varier son propos, d’offrir une autre part de ténèbres à la musique invoquée. Le départ de Kobal et son remplacement par Keithan (Maïeutiste, Baru), ainsi que celui de Sorghal par Avgruun (Allobrogia, Himinbjorg), changent sensiblement la donne. La basse devient ainsi beaucoup plus conquérante, au cœur du propos, lourde de son aura cabalistique. Elle sculpte les morceaux, en redresse l’échine, jusqu’à endosser parfois tout le poids du morceau (Kaos Theos Kosmos), tout en gardant sa relative discrétion rappelant que tout ici se façonne dans le noir. Les vagues d’assaut de la batterie (Kloct) sont moins brutales, chiches en blasts et promptes à asséner des rythmiques plus lentes, plus pesantes, abusant cependant à mon goût un peu trop des sons cuivrés. Les guitares tranchent, à coups de riffs acérés, comme sur le début de Mara, prenant ensuite un malin plaisir à étirer leur propos, privilégiant toujours les longs riffs au soli.

Le chant d’Heruforod a également évolué, tempérant sa rage primale et de longs soliloques me rappelant beaucoup le style de Necroabyssious (Varathron), comme s’il hurlait au sein d’une grotte embrumée par l’encens, haranguant une foule avachie totalement dévouée à sa cause (le splendide et impressionnant Ylem !). Chaque morceau prend son temps, déroule son corps comme celui de quelque long serpent, même si la structure générale s’est ramassée, ne formant plus qu’un tout de « seulement » 48 minutes ! Caïnan Dawn a cependant gardé l’essentiel, cette capacité a dessiner de sublimes intros ou d’enchaîner les fins de titres en un sublime et démoniaque fondu au noir. Puis il y a ces petits « plus », ces samples savamment glissés ici ou là (inquiétant début de Fohat, morceau instrumental glaçant), ces murmures presque cachés, ces champs grégoriens venus d’ailleurs (le final d’Om). L’album s’avère fidèle à sa pochette (Above Chaos), sobre, noire, et entretissée de mille racines, quintessence de ce concept théosophique qu’est le Fohat, énergie vitale universelle, gorgée d’électricité cosmique (et de saturation ici !), à la fois créatrice et destructrice. Peu évident à avaler d’une traite, l’album se savoure au fil des écoutes, des découvertes qu’il promet, encore et encore, et impose désormais Chambéry comme un haut-lieu de la mystique musicale française… ou du black art plus simplement !

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